Les joyeux fantômes de Tony Oursler
Les poupées animées et le monde fantasmagorique du grand artiste américain Tony Oursler sont installées au Mac's.
Publié le 16-11-2013 à 05h42 - Mis à jour le 19-11-2013 à 13h25
:focal(455x235:465x225)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/GLSLR6ZVGZAXDHABNNCNPQ3UTU.jpg)
Pour plagier un garçon à la houppe, voilà une exposition à voir de 7 à 77 ans. A priori, elle est ludique, fantasmagorique, bien plus directement jouissive que nombre d’expos contemporaines. Mais à seconde vue, c’est aussi une expo très noire, sur les peurs du monde, sur nos démons, fantasmes, paranoïas diverses, et sur le tsunami d’images vidéo qui nous submerge. Quelle est encore la place de l’homme réel dans tout ça ? Tony Oursler ressemble plus à Tintin qu’à Méphisto. Ce New-Yorkais né en 1957, qui a fait ses études sur la côte Ouest, au California Institute of Arts avec Mike Kelley, est un joyeux drille, enthousiaste, imaginatif. Il a commencé par jouer dans un orchestre punk avec son copain Kelley et il n’a eu de cesse de fréquenter les autres arts nobles ou moins nobles, du théâtre kabuki aux films d’horreur, des magazines aux "légendes urbaines".
Il a filmé récemment le célèbre clip pour le dernier album de la rock star par excellence, David Bowie. Ils se connaissent depuis vingt ans et Bowie est venu jouer dans son atelier un petit sketch, "The Director", qu’on voit à la fin de l’expo, projeté sur une "poupée de chiffon", "la" marque de fabrique par excellence de ce diable d’Oursler qui a inventé le fait de projeter des vidéos hors de tout écran, sur des poupées, ou des écrans de fumée. David Bowie, via sa marionnette, donne des ordres (en anglais) aux passants, les faisant prisonniers de son processus hallucinatoire.
Tony Oursler, dès qu’il avance dans la discussion, se montre effrayé des Etats-Unis blessés par l’ère Bush, devenus paranoïaques, et qu’Obama a bien du mal à "corriger".
L’œil vous regarde
Son univers se découvre dès la première salle de l’exposition au Mac’s, dont le commissaire est Denis Gielen. Elle est vide, sauf un matelas à fleurs jeté sur le sol. En s’approchant, on découvre, coincée sous le lit, une grande poupée de chiffon avec une tête démesurée sur laquelle est projeté le film d’un visage qui nous regarde et nous parle. On est de suite en empathie avec sa souffrance. Le personnage semble vouloir se dégager, mais, au contraire, il nous crie de le laisser en paix : "Get out here, I want to be alone, what are you looking at ? Fuck fuck, fuck."
Tony Oursler, dont le grand-père, ami d’Houdini, était magicien, construit ainsi son monde d’illusions, de théâtre rigolo d’ombres et de lumières, d’homoncules troublants, d’écrans de fumée, de bricolages apparents, pour parler de notre condition humaine, des aliénations de notre société moderne.
La dernière salle, très grande, exprime superbement le propos. Dans l’obscurité, on y voit neuf grandes sphères posées sur le sol et, sur chacune, il y a juste la projection d’un œil. Cet œil cligne, tourne la pupille à droite et à gauche. Comme le dit Denis Gielen, on prétend que l’œil est le miroir de l’âme (jadis, dans les maisons flamandes, on accrochait l’image d’un œil unique avec cette phrase "God ziet U"). Mais ici, ces yeux sont vides d’expression, ne sont plus que des insectes voraces et on devine, sur le blanc de l’œil, le reflet des feuilletons télé qui abrutissent les gens. "Ces yeux fascinés par ce qu’ils regardent (des programmes télé populaires) semblent avoir perdu leur âme, ils témoignent de l’emprise croissante de l’image animée à l’ère du visuel" et sont une critique des nouveaux mondes médiatiques.
Le parcours de la peur
Entre ces deux moments, dans une expo très aérée, on découvre avec ravissement des installations, des vidéos et ses micro-sculptures vidéo et d’autres poupées de chiffon qui nous interpellent et grognent dans une langue incompréhensible (pour cette occasion, le Fonds Mercator publie un livre inédit : le catalogue de l’œuvre reprenant les textes/poèmes d’Oursler, tels que proférés par ses marionnettes).
Au centre du Mac’s, Tony Oursler a créé pour le musée, qui l’a acquise, une œuvre énorme, sur toute la longueur de la salle. Un vrai parcours entre sculptures, panneaux, films, comme on le voit dans les châteaux de l’horreur dans les foires. Il veut ainsi rendre hommage à un de ses maîtres, la personnalité incroyable du Liégeois Etienne-Gaspard Robertson (lire ci-contre), le père pour lui de la fantasmagorie. On y voit le miroir d’Archimède qui devait, à distance, brûler les navires, une vidéo géante actuelle de jeux de guerre, de grands portraits-robots de suspects, peints, avec dedans, les yeux que scrute la police des frontières, une toile d’araignée géante barrant la route et courant sur les murs, avec un serpent animé, symbole de notre cerveau reptilien. On voit aussi un mur de dessins où des enfants du Grand-Hornu, de 8 à 11 ans, ont dessiné leurs "plus grandes peurs", et des films où les têtes se transforment en diable ou en visions déformées et monstrueuses. Un parcours ludique, mais sur nos peurs. Un paradoxe qui est tout Oursler.
Tony Oursler, "Phantasmagoria", au Mac’s, Grand-Hornu, jusqu’au 23 février. Fermé le lundi. Beau catalogue au Fonds Mercator reprenant les textes vernaculaires d’Oursler.