Gilles Caron : profession reporter
A Charleroi, le "conflit intérieur" de Gilles Caron durant sa courte carrière. Le Musée de la Photographie rend hommage à celui qui couvrit tant de conflits et d’actualité brûlante.
- Publié le 27-01-2014 à 18h11
- Mis à jour le 29-01-2014 à 07h40
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Le Musée de la Photographie à Charleroi consacre actuellement une exposition au photoreporter Gilles Caron dont la carrière fut particulièrement dense en cette fin mouvementée des sixties. Elle fut aussi très courte - cinq ans - puisqu’il disparut en 1970 au Cambodge alors qu’il allait avoir 31 ans. Il était en pleine maturité professionnelle et développait - chose plutôt rare chez ses confrères alors - une réflexion de fond sur le métier. "Une critique en acte", comme le soulignent Michel Poitvert et Jean-Christophe Blaser, les commissaires de cet ensemble intitulé "Le conflit intérieur".
Raymond Depardon nous donne une très bonne idée de ce jeune photoreporter qu’il fit entrer à l’Agence Gamma dès sa création en 1967. Il l’avait rencontré lors d’un reportage sur un incendie : "Je remarque un jeune photographe par sa façon de bouger, sa rapidité; il n’est pas très grand, porte un Burberrys. Il me dit qu’il travaille pour l’agence Apis. C’est un nouveau, je ne vois pas ses photos, mais je me dis qu’à sa façon de bouger, ça doit être bien. Je le retrouve sur un conseil des Ministres; il lit ‘Le Monde’, c’était rare à l’époque parmi les photographes." (dans "Profession photoreporter" de Michel Guerrin aux éditions Gallimard).
A l’Agence Gamma
Depardon peut se dire qu’il a eu du nez. Gilles Caron mettra en effet rapidement la barre de l’exigence très haut. Dès le départ, sa façon de travailler innovante donnera un élan inespéré à la toute jeune agence. En juin 1967, sa "couverture" exemplaire de la Guerre des Six Jours fera découvrir aux concurrents, le ton de Gamma, sa qualité journalistique. Dans "Le conflit intérieur", la série exposée est épatante de lucidité et de clarté. Se retrouver dans un tel imbroglio et nous faire comprendre les lignes de force de cette guerre éclair est un réel exploit. Il est vrai que question méthode, Caron innove. Il grille la politesse à tous ses confrères en louant une voiture plutôt que de se trouver pris au piège des petites économies sur le transport. Cela lui vaut d’entrer à Jérusalem en même temps que Moshe Dayan et d’atteindre le canal de Suez au côté des tanks de commandement israéliens. Publié dans "Paris-Match", ce reportage fera une publicité incroyable à Gamma.
En ces années d’actualités chargées, il ne s’arrête pas en si bon chemin et passe du conflit israélo-arabe à celui du Vietnam où il couvre pendant deux mois la guerre sur la colline 875. Prises au grand angle, à quelques dizaines de centimètres des combattants, ses images donnent aux lecteurs l’impression d’être dans la fournaise. Les planches contact exposées à Charleroi témoignent du sang-froid du photographe, mais aussi de sa capacité à résumer des situations chaotiques. Peu de ratés et surtout un choix d’images fortes, cela lui vaudra encore "Paris-Match" et une visibilité accrue.
En 1968, il enchaîne avec la guerre civile et la famine au Biafra. On l’a peut-être oublié aujourd’hui, mais c’est à la suite de ce conflit que Bernard Kouchner fonda MSF. Caron le rencontre d’ailleurs sur place tout comme il fait la connaissance de Don Mc Cullin. Le tout grand photographe de guerre dit encore aujourd’hui qu’il ne se passe pas un jour sans qu’il pense à lui.
(Crédit Photo: Gilles Caron)
Cohn-Bendit
Quand Caron rentre à Paris en mai, c’est quasi la révolution. Il suit les révoltes des étudiants et les manifestations. A nouveau ses images font la différence. On connaît tous cette icône d’un Daniel Cohn-Bendit narguant un CRS d’un sourire frondeur. L’ex-figure de proue estudiantine révèle d’ailleurs dans sa préface du Photo Poche consacré à Caron - et ce n’est pas un mince compliment - que ses propres représentations de mai 68 sont en fait les photos emblématiques de celui-ci.
On mesure la vitalité du jeune photoreporter qui dans la foulée retournera deux fois au Biafra puis relatera la répression sanglante des émeutes à Mexico, tout juste avant les Jeux olympiques. En 1969, on le retrouve dans les émeutes d’Irlande du Nord, dans de nombreux reportages en France ainsi qu’au premier anniversaire de l’écrasement du Printemps de Prague par les chars soviétiques. L’année suivante, avec Raymond Depardon, Michel Honorin et Robert Pledge, il part en expédition au Nord du Tchad pour y retrouver les rebelles toubous avec lesquels ils se font intercepter par les forces gouvernementales. Eux s’en tireront avec un mois de prison, les rebelles seront exécutés.
A peine revenu de ce reportage difficile, il repart au Cambodge qui vient de changer de pouvoir. Le 5 avril, il disparaît sur la route N°1 qui relie Phnom Penh à Saigon. On ne le reverra jamais.
Durant ces quelques années pendant lesquelles il réalisa tant de reportages d’anthologie, tant d’images aujourd’hui mythiques, Gilles Caron ne cessa d’interroger la légitimité de son action. C’est en tout cas ce que met bien en avant cette exposition. Avec un tel fil conducteur, avec ce retour aux "premières loges" d’un morceau d’histoire du XXe siècle en train de s’écrire, avec aussi et surtout ces tirages et ces contacts d’époque, on a, à Charleroi, le plus bel hommage qui soit à cette étoile filante du photojournalisme.