Qui a suicidé Van Gogh ?
Magnifique exposition Van Gogh au musée d'Orsay, centrée sur la question de son génie et de sa folie. Quarante-cinq tableaux parfois très rarement vus, sont confrontés à la langue convulsive d'Antonin Artaud, poète et théoricien du théâtre.
Publié le 17-03-2014 à 17h43 - Mis à jour le 23-03-2014 à 12h54
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C’est le propre des plus grands de pouvoir toujours nous surprendre. Les 45 tableaux de Van Gogh (1853-1890) présentés au musée d’Orsay, à Paris, sont splendides, venus des grands musées américains et européens, parfois très peu montrés. Ils datent des derniers mois du peintre, avant le coup de feu fatal, en plein ventre, qui le tua le 30 juillet 1890.
Hélas, son ultime tableau, si noir, "Champ de blé aux corbeaux", est trop fragile pour voyager et n’y est que par une vidéo. Mais on admire les paysages à la fois apaisés et tourmentés des ultimes moments de Van Gogh. Les couleurs audacieuses, les oppositions qu’il ose avec bonheur, la touche en virgules et convulsions, peintures de tourments et pourtant si justes, calmes et belles. Il peint l’hôpital Saint-Paul, Saint-Rémy-de-Provence, Arles, Auvers-sur-Oise, le docteur Gachet, la chaise vide de son cher Gauguin qu’il aimait tant qu’il s’est coupé une oreille pour lui qu’il donna à une prostituée.
Parfois, le génie est dans trois fois rien : un crabe, deux harengs, une paire de chaussures usées. La série d’autoportraits du peintre, de plus en plus habité par son art, envoûte.
La langue d’Artaud
Pour relire cette œuvre unique, Orsay propose la plume et le regard d’Antonin Artaud (1896-1948), poète, théoricien du théâtre ("Le Théâtre et son double", "Le Théâtre de la cruauté"), présenté comme son frère en douleur. Des extraits de son livre magnifique "Van Gogh, le suicidé de la société" suivent toute l’exposition qui présente aussi une dizaine de dessins écorchés vifs d’Artaud et des extraits des films où il joua.
En mai 1946, Antonin Artaud sortait de l’asile de Rodez où il avait été admis trois ans plus tôt à la demande de sa mère et du poète Robert Desnos. Il souffrait de délires de persécution et d’hallucinations. Malgré ses cris, il subit 58 séances d’électrochocs, provoquant d’immenses souffrances et lui brisant une vertèbre cervicale.
Quand, enfin, il sort de l’asile, le galeriste Pierre Loeb lui suggère d’écrire sur Van Gogh. Artaud le fit dans un coup de colère après avoir lu un livre qui n’insistait que sur la "folie" de Van Gogh. Pour Artaud, Van Gogh, mort à 37 ans comme Rimbaud, ne fut pas victime de sa folie mais bien d’avoir été rejeté par la société, d’avoir été trop sensible à tous les rejetés de la terre. Il aurait été victime du docteur Gachet, son psychiatre. En 1947, Artaud visita la rétrospective Van Gogh à l’Orangerie, au pas de charge, rédigeant dans la foulée en deux après-midi, sur des cahiers d’écolier, ce texte admirable et halluciné (extraits à lire ci-dessous).