Paul Joostens, un avant-gardiste temporaire, mystique et tourmenté
Le musée d’Ostende se penche sur l’œuvre dadaïste, érotique et religieuse du poète et artiste anversois.
Publié le 23-03-2014 à 15h55 - Mis à jour le 26-03-2014 à 09h04
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En consacrant une double exposition au poète et artiste anversois Paul Joostens, le musée d’Ostende accomplit une mission muséale primordiale qui passe trop souvent au second plan : l’étude scientifique d’une œuvre et sa sauvegarde. Ce rôle est souvent négligé par rapport à la mise en avant d’événements plus médiatiques et tapageurs. C’est un travail de fond et d’historien qui est ici entrepris pour remettre en perspective, à la lumière des recherches nouvelles, l’œuvre d’un artiste singulier, souvent oublié.
Il est vrai qu’après avoir appartenu à une certaine avant-garde, Paul Joostens (1889-1960) s’est isolé et enfermé dans un univers mental et artistique en quasi complète déconnexion avec le monde de son époque. Le titre de l’exposition, "Cinéma Joostens", qui peut paraître curieux pour un poète et plasticien, en réfère à l’attrait irrésistible qu’il a toujours manifesté pour le ciné, surtout pour une série d’actrices qu’il vénérait littéralement, voyant en elles le prototype de la femme aussi sensuelle qu’élégante et attirante. Pas étonnant qu’en son œuvre fort inégale, une part importante, la plus intéressante, lui soit consacrée, non sans quelques ambiguïtés.
Dadaïsme festif
L’épisode 1 de cette expo qui en compte deux se décline chronologiquement en périodes de dix ans. Très tôt, le jeune Paul, éduqué religieusement par les Jésuites, est marqué par la découverte des Primitifs flamands, particulièrement Memling et van Eyck. Vingt ans plus tard, alors qu’il traverse une période sombre et mystique, il s’inspirera directement des œuvres de ces maîtres. A l’entame des années de guerre, il dessine énormément, mène une vie de plaisirs, se rend dans les théâtres, les cabarets, au cinéma et au Crystal Palace, un bordel où il croque les scènes et les femmes légèrement vêtues. Son coup de crayon est vif, nerveux, défait, animé. Il ne vise pas à décrire mais à rendre l’ambiance. Garbo, Dietich, Hayworth, sont quelques-unes des stars qu’il vénère et dont il s’inspire pour leurs gestes et leurs attitudes. Surtout Asta Nielsen dont il réalise le portrait.
L’avant-garde de l’époque est au Dadaïsme. Il s’y engouffre avec une certaine délectation festive. Il écrit et publie dans les revues les plus à la pointe de la modernité : "Ça ira" et "Het Overzicht". Certains de ses dessins ont des accointances ironiques, satyriques avec celles d’Ensor, d’autres sexuellement plus osées avec celles d’un Rops. Il manifeste même une audace peu commune, il publie - sous pseudonyme - des dessins où le religieux et l’érotique se rencontrent dans un choc imagier. Dans "Les Mollusques", une procession se dirige vers un sexe féminin béant !
Lourdeur et désespoir
Son œuvre picturale autour des années 30 a fait fi de tout avant-gardisme pour se retrancher dans un retour vers les sujets religieux et les structures des Primitifs. La peinture est lourde, sombre, grossière. Elle est d’inspiration moyenâgeuse avec des accents modernistes, du cubisme à l’abstraction en passant même par Matisse et le fauvisme, le tout dans un imbroglio impossible. Une peinture hors circuit, pesante, passéiste, déprimante et pour tout dire sans réel intérêt si ce n’est celui de suivre le cheminement mental de l’artiste. Il est déprimé du monde. Il vit reclus. Sa seule fenêtre vers l’extérieur : les femmes. Celles du ciné surtout, qu’il tente d’idéaliser.
La Seconde Guerre n’arrangera rien. Désormais la mort rôde dans ses dessins, cette réalité tragique l’accable et le désespère. Même son trait s’en ressent. Il plonge dans un mysticisme noir et des visions d’apocalypse, voire dans une certaine fantasmagorie. Diminué physiquement, il est aussi atteint psychiquement mais conservera cet élan vers un idéal féminin à travers une puissante érotisation avant de retourner vers une forme d’abstraction. Une œuvre chaotique d’un esprit ouvert mais terriblement tourmenté. Une de ses dernières peintures s’intitule "La Haine"…
Claude Lorent
Cinéma Joostens. "Episode". Mu. ZEE, Romestraat 11, 8400 Ostende. Jusqu’au 15 juin. De 10h à 18h. Fermé le lundi.
A suivre. "Episode 2", Du 28/6 au 14/9.
Catalogue bilingue en deux volumes. Tome 1 : plus de 400 illustrations. Tome 2 (à paraître le 28 juin) : Joostens et le cinéma, la philosophie, la psychanalyse + textes inédits de l’artiste.