Portraits à visage découvert
A Marseille, le visage dans tous ses états : de face ou de guingois, de Picasso à Bacon. Des grands noms d'artistes du XXe siècle se pressent au portillon.
Publié le 23-03-2014 à 12h54 - Mis à jour le 26-03-2014 à 09h04
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Marseille, Centre de la Vieille Charité. Bâtiments superbes, chapelle au dôme baroque unique en son genre. Paix et sérénité, des maîtres mots pour cet ancien hospice jadis voué à l’accueil des parias, des déshérités. Reconverti en lieu d’art et d’expositions temporaires, il recèle aussi un Musée d’archéologie méditerranéenne, un Musée des arts africains, océaniens, amérindiens, et plusieurs organismes culturels de la ville. Un lieu de rêve quand un soleil d’hiver vous y réchauffe des froidures. “Visages” ou l’homme et son miroir : l’offre est alléchante.
Des grands noms d’artistes du XXe siècle se pressent au portillon pour une exposition qui rassemble des œuvres des collections des musées marseillais et des pièces, parfois phares, en provenance de musées et ensembles privés d’Europe et des Etats-Unis. Réalisée en partenariat avec la Réunion des Musées nationaux, l’exposition bénéficie de l’apport de deux commissaires de la direction des musées de Marseille, Christine Poullain et Guillaume Theulière. L’entreprise est d’envergure, elle occupe tous les espaces disponibles, une suite de salles disparates et la chapelle.
Au-delà de l’apparence
Cette dispersion n’est pas sans poser des problèmes de coordination entre les trois thématiques au programme – visages de la société, visages de l’intimité, visages de l’esprit – les trois, comme souvent en pareil cas, interférant aussi entre elles. Et si l’on se demande parfois ce que vient faire telle ou telle peinture dans un ensemble qui ne lui sied guère, parce que faiblarde ou hors de propos, un regard panoramique doit en convenir : pas évidente à monter, l’entreprise réserve des temps forts et des moments de pur bonheur. Début du XXe siècle, une société en marche verse au rebut les anciennes idées, les principes déclassés. En art, les artistes innovent, réduisent à néant les académismes, fomentent des révolutions plastiques. Et tout va vite.
Fi désormais des apparences. La subjectivité prime, la psychologie humaine doit l’emporter sur l’anonymat des postures. Un siècle et demi plus tôt, Géricault (à voir en ce moment à Gand) avait déjà été dans ce sens, sans être vraiment suivi, sinon par Delacroix et puis Manet.
Société et intimité
A l’accueil, l’excellente sculpture hyperréaliste de George Segal, “Movie House”, ou le portrait d’une caissière de cinéma, témoigne de l’emprise, au XXe, de l’image cinématographique. Ce qui permet ensuite à l’exposition d’envisager la vie sociale d’un siècle de démesure. Un George Grosz, bien typé, de 1925, donne le ton d’une démonstration qui voit l’homme dans son quotidien banal ou frappant, parfois décalé, comme avec “Femme de Venise I”, emblématique sculpture filiforme de Giacometti. Sujet de l’affiche, la présence d’un assez médiocre Picasso, “Femme au miroir”, de 1959, se justifie car il est référentiel de la thématique générale. Présent en force, Oskar Schlemmer avoisine Hélion et son “Homme à la face rouge” ou, antithèse plastique, une “Vénus du trottoir” d’un Dubuffet matiériste peint en 1946.
Des portraits emplis d’ambiguïtés, voire d’accents politiques, se taillent alors la part du lion, signés Warhol, Raysse, Monory, Polke ou Basquiat. Des photos aussi, de Brassaï, Gisèle Freund, Bernard Plossu, Sabine Weiss, Beat Streuli. L’intimité ne pouvait être ignorée et les artistes s’employèrent à la rendre tangible de diverses manières : “Autoportrait aux masques” goguenard d’Ensor, regard fixe et déterminé de Kirchner, “Kiki” vue par Man Ray, Severini et sa famille ou “La femme au miroir” (1932) de Cagnaccio de San Pietro, sans oublier Bonnard et ses secrets, Richter et ses flous provocants, Segal et sa “Femme assise”.
Visages de l’esprit
Ce siècle fut aussi surréaliste et les disciples de Breton y firent plus que joujou avec les routines. Deux Chirico métaphysiques croisent de beaux Magritte, dont “Le visage du génie” de 1926, un prêt du Musée d’Ixelles. Il y a Man Ray encore avec une “Noire et blanche” de la meilleure veine. Puis Delvaux, Saura, Picasso, Artaud, Brauner, Rainer, Munch, Velickovic, Bacon, Giacometti. Rien à dire, ça se déguste ! Dans la chapelle, place enfin aux sculptures, remarquables.
La Vieille Charité, 2, rue de la Charité, Marseille. Très beau catalogue. Jusqu’au 22 juin, du mardi au dimanche, de 10 à 18h. Infos : www.marseille.fr et www.grandpalais.fr