Roger Ballen: voyage dans notre inconscient

L'artiste sud-africain expose ses si singulières photographies au musée du Dr Guislain à Gand. Un voyage dans l'esprit humain, ses rêves et ses cauchemars, avec une beauté fulgurante.

Rencontre>Guy Duplat

Roger Ballen, 64 ans, né à New York en 1950 mais vivant à Johannesbourg depuis plus de 30 ans, est là, sous un soleil de plein été, dans la cour ensoleillée du musée du Dr Guislain à Gand. Il parcourt l’exposition avec nous.

Le musée, niché dans un hôpital psychiatrique en activité, propose une très belle rétrospective de son œuvre, en parallèle avec l’exposition "Guerre et trauma" dont nous avons vanté les qualités dans "La Libre" du 3 janvier (encore jusqu’au 30 juin). On reconnaît d’emblée les œuvres de Roger Ballen : toujours en noir et blanc, carrées (le Rolleiflex), elles explorent l’esprit humain, la condition humaine. D’abord, les hommes en marge, les outsiders, les "gueules" qu’il observa autour de lui en Afrique du Sud. Comme les jumeaux Dresie et Casie qui se ressemblent parfaitement, aussi effrayants l’un que l’autre, les oreilles décollées, la bave aux lèvres. Ils fascinent et glacent.

Roger Ballen, au début de sa carrière, a sillonné l’Afrique du Sud pour photographier ces hommes et ces femmes en marge, ces rebuts de l’humanité, ces pauvres. Il a choisi la photo dans les années 80. Son œuvre suscite d’abord la polémique avant d’être reconnue partout. En 1995, il reçoit le prix des rencontres internationales de photographie d’Arles. Parmi ses références, on pense à Diane Arbus, Dubuffet (le père de l’art brut) et Antonin Artaud et son théâtre de la cruauté. "Les êtres, écrivait Artaud, sont cette vie parasitaire virtuelle qui s’est créée en marge de la vraie vie et qui a fini par avoir la prétention de la remplacer."

De plus en plus "art total"

S’ils sont effrayants, ces êtres sont aussi touchants. Comme ce policier pris, comme les autres, de manière frontale, directe, en noir et blanc. Ou ces deux pieds en gros plan, griffés de cicatrices, usés par les ans, et entre eux, tenu par deux mains, un minuscule chiot.

Après cette quête "ethnologique" des bas-côtés de la société sud-africaine, Roger Ballen construit des photos soigneusement mises en scène, structurées comme des énigmes, dans des chambres abandonnées sans meubles ni ornements, avec des animaux égarés, des hommes hagards dissimulés derrière des couvertures ou des masques. On pense parfois à Francis Bacon, mais aussi à un théâtre du burlesque, de la cruauté, à Samuel Beckett, à Artaud, à un cirque des pauvres où l’oiseau ne quittera pas sa cage.

A partir de 2003, nous dit-il, il abandonne le portrait, le visage humain, pour ne plus réaliser que des photographies ambitieuses qui mélangent le graffiti, l’assemblage d’objets trouvés, les animaux, le corps morcelé (une main, un pied). Un univers étrange et captivant, de vraies métaphores de l’inconscient, renvoyant à des archétypes. Les personnages marginaux, ces "freaks" qu’il croise dans la rue et avec qui il sympathise, deviennent les personnages de ses psychodrames, de son "voyage dans la psyché humaine".

Asylum of the Birds

Son dernier ouvrage, "Asylum of the Birds" vient de sortir (chez Thames&Hudson) et est le fruit de cinq années de travail dans un lieu très étrange, secret, sorte de bidonville inimaginable près de Johannesburg. Là, dans un décor de décharge abandonnée, dans une grande poésie tragique, cohabitent des oiseaux multiples (Ballen est fasciné par eux) et des infrahumains dont on voit des parties de corps où les visages cachés par des masques, avec des poupées cassées et des dessins sur les murs. Un refuge biblique où les oiseaux volent librement et où les gens passent.

Ces dernières années, il a aussi réalisé des films où son univers unique apparaît. Dont l’incroyable clip "I Fink U Freeky", vu par 40 millions d’internautes, réalisé pour le groupe sud-africain de rap-rave Die Antwoord avec les artistes Ninja et Yolandi. Un film complètement déjanté, à l’imagination et à la beauté folles qui fait de Lady Gaga une bien sage dame. Il vient aussi de terminer (visible aussi sur YouTube), un "making of" passionnant d’"Asylum of the Birds".Guy Duplat

Roger Ballen, Voyageur dans la Psyché, Musée Dr. Guislain, Gand, jusqu’au 31 août. Tél. : 09.216.35.95 et www.museumdrguislain.be, fermé le lundi.


La suite du dossier consacré à Roger Ballen dans La Libre Belgique en PDF


Vous êtes hors-ligne
Connexion rétablie...