L'art actuel et la tragédie grecque
"Non à la tyrannie des morts-vivants, oui à la liberté de la vie qui se crée". Tel est la théorie de Raoul Vaneigem. Il fait partie de ces artistes qui parlent de la crise grecque - sans précédent depuis 7 ans - avec une créativité débordante.
Publié le 25-03-2014 à 00h00 - Mis à jour le 27-03-2014 à 13h59
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L’exposition ne compte que des artistes grecs. Et 70 % d’entre eux vivent et travaillent toujours à Athènes. Ou parfois survivent. Des noms pour la plupart inconnus du grand public. Mais il est très intéressant de découvrir cette créativité poussée par la crise (on le voit aussi à Athènes par la floraison de graffitis et de street art et on l’a vu à la dernière Biennale de Venise avec la contribution très interpellante de l’artiste Stefanos Tsivopoulos évoquant la crise). La scénographie à Bozar est volontairement labyrinthique, faite de couloirs étroits et de chemins qui ne mènent nulle part, pour exprimer les impasses de la situation actuelle.
Avec l’aide du guide du visiteur (en anglais) qui explique chaque œuvre, on peut découvrir des propositions très diverses. D’abord, le nouveau film du Liégeois Nicolas Kozakis avec le philosophe situationniste, Raoul Vaneigem. On avait admiré leur film commun à l’expo Manifesta à Genk en 2012. Ce film en est la suite, intitulée "Qu’en est-il de notre vie ?" Les images noir et blanc, superbes, évoquent la Grèce, le calme, la douceur des petites choses, la mer. Avec en superposition le texte de Vaneigem qui dénonce les méfaits de la société capitaliste : "Qu’en est-il de nos désirs ? Du bonheur d’exister ? Le pouvoir délétère de l’argent fait de la terre un désert. Terrés dans les égouts du profit, les financiers capitalisent notre lente agonie." Et ce texte se termine par un "non à la tyrannie des morts-vivants, oui à la liberté de la vie qui se crée."
On a bien aimé aussi le film du jeune Yorgos Zois. "Casus belli" montre une dizaine de files dans la vie quotidienne (supermarché, à l’église, à la poste). Brusquement, le rideau métallique tombe, symbole de la crise, et tous ces gens tombent en arrière comme dans un jeu de dominos. Un caddie rempli s’échappe et court le long des routes pour terminer dans un terrain vague… chez un clochard.
Curieuse arche de Noé
Philippe Grammaticopoulos a réalisé un film d’animation à la manière de Topor avec un banquet de banquiers… (notre illustration).
Les photographies de Panos Kokkinias cumulent une belle beauté formelle et un sens tragique. Comme ce soldat hellène en costume traditionnel qui flotte, noyé, sur la mer de Grèce chérie des touristes (notre photo). Ou cette famille en attente sur un port grec. Le soir est tombé et on ne sait s’ils partent pour l’exil ou pour des vacances de rêve. Ou encore cet arbre dans la nuit avec un homme accroché.
L’humour, ou l’ironie noire, est souvent présent. Zissis Kotionis accueille les visiteurs avec son ADAPT, "Apparatus for Defence Against Police Terror", une grande construction en bois où se réfugier mais qui s’ouvre sur un porte-voix pour haranguer les manifestants. Stelios Faitakis reprend la tradition des icônes byzantines et crétoises, avec le fond doré, le paysage sans perspective, les flammes au fond, mais le sujet devient la crise grecque.
On peut jouer à vivre dans cette crise grecque avec le jeu de Lina Theodorou, mais attention, dans ce Monopoly, on risque de perdre beaucoup.
Dionisis Kavallieratos a dessiné une arche avec Noé qui harangue les gens pour venir s’y réfugier avant le Déluge, mais tous ceux qui se présentent sont des Hitler : un dessin qui exprime que toutes les crises ne parviennent pas à noyer ce nazisme et néonazisme qui semblent toujours survivre.
No Country for Young Men, Contemporary Greek Art in Times of Crisis", Bozar, jusqu’au 3 août, entrée gratuite