Somville, mort d’un lutteur
Le peintre qui voulait mettre "l’art réaliste au service du peuple", est mort à 90 ans. Un portrait par Guy Duplat.
Publié le 01-04-2014 à 09h24 - Mis à jour le 01-04-2014 à 14h02
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Le peintre qui voulait mettre "l’art réaliste au service du peuple", est mort à 90 ans. Un portrait par Guy Duplat.
C’est un combattant et un idéaliste qui s’est éteint. Le peintre Roger Somville est mort lundi à 90 ans. II vivait à Tervuren. Son activité couvre toute l’après-guerre en Belgique. Le grand public peut toujours découvrir une de ses grandes fresques, inspirée des muralistes mexicains comme Siqueros : l’imposante « Notre temps » de la station de métro Hankar (photo ci-dessous), une fresque de 600 m2 inaugurée en 1976.
Roger Somville ne craignait pas de se situer à contre-courant. Il s’affiche « peintre réaliste », un choix d’autant plus important pour lui qu’il allait de pair avec un engagement marxiste sans failles « au service de l’émancipation humaine ».
En ce sens, il s’écarta toujours des évolutions d’un art contemporain qu’il ne cessa de fustiger : « triomphe du moins que rien », « trucages en forme d’art », « inféodation de l’art au marché mondialisé ». Son fils, Marc Somville qui a annoncé son décès, rappelle qu’il entendait « placer l’humain au centre de son art ».
Né à Bruxelles en 1923, il étudie en 1943 le dessin et la peinture auprès de Charles Counhaye. Il opte d’emblée pour le réalisme, non sans expressionnisme. Avec Edmond Dubrunfaut, il veut rapidement lancer un « art monumental et public exaltant le travail des hommes, leurs luttes, leurs souffrances, leurs victoires et leurs espoirs ». Ils réalisent de grandes tapisseries pour le centre de la tapisserie de Tournai (une tapisserie de Somville se trouve au Palais des Congrès à Bruxelles) et déjà des fresques. Somville rejoindra « La jeune peinture belge » créée par Gaston Bertrand, Louis Van Lint et d’autres. Il était fasciné par le Guernica de Picasso dont il disait qu’il était « un symbole, un signe de ralliement ».
Mai 68
Adhérent du parti communiste, il s’enflamme pour les films d’Eisenstein et le théâtre de Brecht, il est en rue pour dénoncer la guerre au Vietnam et l’assassinat de Che Guevara. On le retrouve en mai 68 menant l’occupation du Palais des Beaux-arts avec Marcel Broodthaers pourtant aux antipodes de son art (mais Broodthaers était alors proche du PCB dont Somville était le pur représentant) !
A contre-courant encore, il crée un « mouvement réaliste belge ».
Dans les années 70, c’est la consécration avec des expos de Moscou et Sofia, à Mexico où il rencontre David Siqueiros. Il publie ses des écrits polémiques : « Pour le réalisme » et « Hop là ! Les pompiers les revoilà »).
Très tôt, il enseigna à l’Académie de Boisfort qu’il dirigea longtemps.
Depuis les années 80, sa peinture se faisait plus intimiste, évoquant la femme, « la femme nue contre les falsifications de tous ordres ». Sa notoriété déclina vite fortement avec le temps. Jean–Christophe Yu qui vient de lui consacrer un film rappelle son credo : « peindre l’amour, une autre manière de peindre des drapeaux rouges. »
En 1989 une polémique opposa le peintre à l'administration communale de Watermael Boisfort qui avait recouvert de papier peint les fresques de Somville et de ses élèves de l'académie, les ouvriers estimant ces oeuvres « morbides» et «stressantes». Mais la Justice avait obligé à restaurer l’oeuvre.
Somville se situait hors de l’art contemporain, il voulait disait-il, « un art à la portée de tous, là où naissent et vivent les hommes »