Tout est princier dans le poulet
Le projet de poules hybrides et métissées de Koen Van Mechelen au beau château de Chimay, c'est une rencontre étonnante entre une lignée de princes et une lignée de poules…
Publié le 03-04-2014 à 15h53 - Mis à jour le 03-04-2014 à 17h42
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Le projet de poules hybrides et métissées de Koen Van Mechelen au beau château de Chimay, c'est une rencontre étonnante entre une lignée de princes et une lignée de poules…
C’est certainement la rencontre la plus improbable et pourtant elle marche ! André Breton aurait aimé, lui qui cherchait " la rencontre fortuite d’un parapluie et d’une machine à coudre sur une table de dissection ".
L’artiste Koen Van Mechelen, né en 1965 à Saint-Trond, est reconnu internationalement pour son grand projet d’hybridation des poules, métaphore du métissage nécessaire des sociétés humaines. Il est l’invité cette année du château de Chimay. La magnifique et vénérable demeure princière, perchée sur un promontoire rocheux, fut la résidence d’au moins trois familles princières et est toujours occupée par le prince de Chimay. Celui-ci reçoit dans ses salles d’apparat, dans son théâtre, dans la "maison des artistes", une lignée de… poules, avec des objets cocasses et poétiques qu’on découvre mélangés aux objets anciens (lire ci-contre).
Portrait d’ancêtre
On voit, quasi côte à côte, l’arbre généalogique des princes et celui des poules hybrides de Koen Van Mechelen. On se souvient que, l’an dernier, fut inauguré le château rénové. Le prince Philippe de Chimay et sa nouvelle épouse, Françoise Bautier, devenue princesse de Chimay, ont décidé de faire revivre le château au cœur de la ravissante petite ville. Pas seulement le charmant théâtre baroque, mais tout le château. Et cela fonctionne, le public vient. L’an dernier, les princes avaient invité la photographe Marie-Jo Lafontaine. Cette année, c’est donc le vaste projet de l’artiste contemporain Koen Van Mechelen qui est accueilli.
Il fallait une belle audace aux princes pour accrocher ainsi le "portrait" d’un ancêtre poulet (une grande photo dans un cadre ancien) à la place d’honneur du salon auparavant réservée au portrait de Madame Tallien qui vécut à Chimay. Et de placer, au centre de la pièce, un buste monumental, en marbre fin de Carrare, d’une poule de la lignée !
Koen Van Mechelen était présent mardi pour ouvrir l’exposition et pour une performance, le soir, dans le petit théâtre avec un film sur l’œil du poulet et une performeuse venue de Sibérie, couverte d’un manteau en plumes de poulet, qui accueillait sur son bras un vrai aigle survolant les spectateurs.
L’artiste a lancé son "Cosmopolitan Chicken Project (CCP)" il y a 16 ans. " II y a 65 milliards de poulets sur Terre et 300 milliards d’œufs, nous dit-il. 90 % de nos médicaments ont besoin d’une manière ou l’autre des poules. C’est simple : sans les poules, il n’y aurait pas de vie."
Le Coucou de Malines
La poule serait née dans l’Himalaya et aurait ensuite essaimé dans le monde en de multiples races. Comme les hommes partis, eux, de la Corne de l’Afrique. Le projet CCP consiste à croiser chaque année une poule avec une autre race. Le produit symbolisant la diversité et le métissage autant des poulets que des humains.
Koen Van Mechelen a commencé son projet en 1998 à Watou, près de Furnes, en créant un mixte entre le Coucou de Malines, symbole belge créé pour l’Expo 58 de Bruxelles et qui, en plus, porte le nom de l’artiste (Van Mechelen), avec le symbole de la France : le poulet de Bresse. Le résultat fut "hybridé" l’année suivante avec l’"English Redcap", puis, un an après, avec l’américain "Jersey Giant", etc. Il y eut, dans ses 17 générations, des croisements avec des poules chinoise, sénégalaise, égyptienne, turque, mexicaine, etc.
À chaque génération, Koen Van Mechelen garde une cinquantaine d’exemplaires prêts pour l’hybridation suivante.
Un tel projet demande une grande logistique. Si son "centre" est actuellement à Hasselt et Genk, il a au total 3000 poulets dans huit lieux sur trois continents. Il est en lien avec des universités, des scientifiques et des philosophes. Il a créé cinq fondations comprenant chaque fois dix personnes. Et il décline ses idées sous forme d’objets.
Génération noble
La 18e génération du CCP va naître. Il l’appelle la "génération noble" et ce sont les "parents" qui occupent une grande cage dans la "maison des artistes" à Chimay. "Noble" non pas parce qu’ils sont chez les princes, mais parce que le père, un magnifique coq Sulmtaler, est une race royale d’Autriche qui est accouplée au Mechelse Styrian, la 17e génération du projet. Koen Van Mechelen compte bien continuer à ce rythme pendant longtemps dans le but utopique de créer une race qui aurait tous les gènes des poules du monde. " Chaque organisme a besoin d’un autre organisme pour survivre" , dit-il.
" Les scientifiques qui ont étudié mes "hybrides" ont montré que ceux-ci ont une immunité deux fois plus forte que les races "pures" et que leur fertilité est triple", nous explique-t-il.
Un magazine anglais avait mis les poules de Koen Van Mechelen en couverture en expliquant que son "mélange" était " plus réussi que celui de l’Union européenne" .
Car, bien entendu, ce qui intéresse l’artiste est le lien avec l’homme, sa multiculturalité, son cerveau, son métissage depuis des millénaires, y compris dans les lignées princières. " L’évolution est l’hybridation , dit-il. La fécondation et l’enrichissement viennent toujours de l’extérieur. La dualité est partout présente comme "l’accident" fructueux : la poule et l’œuf, la cause et la conséquence, le bien et le mal, la peur et l’amour."
Ce projet artistique, scientifique et philosophique a fait le tour du monde. Il sera à Venise, à la Biennale d’architecture, en juin (car " l’ADN ce sont les briques du monde ") et à la prochaine Biennale d’art.
Des mutants poétiques et métaphoriques
Pour visiter l’exposition Koen Vanmechelen à Chimay, il faut commencer par la maison des artistes à l’entrée du château, où le projet est expliqué et montré. Dans un film, l’artiste parle en vrai chef d’entreprise, expliquant ses intentions. A la salle suivante, une grande cage abrite "le couple royal" qui va donner naissance à la 18e génération du "Cosmopolitan Chicken Project" et des œufs sont déjà en couveuse dans la salle suivante. On fait la connaissance avec la lignée et l’arbre généalogique avant de se rendre au château.
Devant la façade, une grande sculpture : un globe avec une poule dorée dessus. A l’intérieur, c’est un plaisir de chercher et de retrouver, comme dans un jeu de pistes, les objets imaginés par l’artiste.
Il y a, bien sûr, l’imposant "Salvator Globe", un sceptre énorme, fait de nombreuses poules empaillées et agglutinées et d’un manche terminé par une croix chrétienne. Sur un meuble, un être hybride : mi-aigle, mi-squelette de poule.
Dans la salle d’armes, le "king’s crown", une colonne surmontée d’une coupole, rend hommage au premier poulet venu d’Himalaya. La colonne célèbre un spécimen de la lignée du CCP. Sur la table, un "chido", un animal inventé, mi-caracal, mi-poulet. Chez Vanmechelen, le métissage peut donner tout autant "des monstres" sans descendance que des lignées plus fortes.
Sur la cheminée
A l’entrée du théâtre et dans le grand salon, on retrouve "les portraits d’ancêtres" : des grandes photos de poules traitées comme des tableaux anciens qu’on plaçait sur sa cheminée.
Au centre de la pièce, au milieu des velours, des hybrides à nouveau, comme une grande tête de lézard portant une crête de coq. Sur une colonne, le buste de marbre d’une poule, créé pour la Biennale de Venise.
Les vitrines grouillent d’objets curieux, comme dans les cabinets de curiosité, mêlés aux objets de famille. Un petit panier mignon accueille un œuf. En le regardant de plus près, on voit qu’il est fait de pattes de poulet tressées. Un grand œuf d’autruche est couvert de poils et a l’aspect d’un crâne de vieillard presque chauve.
Koen Vanmechelen utilise souvent le verre pour le joindre à des morceaux de poules, ou faire des œufs immenses et fragiles. Un cerveau humain est placé sous une couveuse comme s’il était un embryon de poulet. Il rappelle que le vrai sujet de Koen Vanmechelen est bien l’homme et son cerveau. Un cerveau de dinosaure est recréé fossilisé, et posé dans une vitrine.
L’évolution avec ses facéties, ses créatures, sa diversité, ses monstres et ses réussites sont au cœur de ces objets. Et cela dans le cadre d’un château si classique !
Koen Van Mechelen, au château de Chimay, jusqu’au 31 juillet. Tous les jours à 11 heures, 14h30 et 15h45. Fermé le lundi. www.chateaudechimay.be