Le Wiels et une certaine culture populaire américaine
Les nouvelles expositions au Wiels, à Bruxelles, sont paradoxales. Elles n’occupent qu’un étage mais sont denses; elles réunissent deux artistes américains, néophotographes des années 70, venus de la Côte Ouest, que tout semble relier mais qui ne se sont pas vraiment rencontrés; elles parlent de culture populaire américaine et de mass media et sont pourtant très conceptuelles.
Publié le 20-05-2014 à 17h35 - Mis à jour le 21-05-2014 à 14h17
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Les nouvelles expositions au Wiels, à Bruxelles, sont paradoxales. Elles n’occupent qu’un étage mais sont denses; elles réunissent deux artistes américains, néophotographes des années 70, venus de la Côte Ouest, que tout semble relier mais qui ne se sont pas vraiment rencontrés; elles parlent de culture populaire américaine et de mass media et sont pourtant très conceptuelles.
On découvre d’abord, sous le commissariat de Devrim Bayar, le travail récent d’Allen Ruppersberg (né en 1944 en Ohio, vit à Santa Monica en Californie). Il fait partie de la génération d’artistes conceptuels américains qui ont émergé à la fin des années 60 et fut par exemple dans la célèbre expo d’Harald Szeemann "When attitudes become form" de 1969. Collectionneur insatiable, il a accumulé une énorme documentation sur la culture populaire américaine et surtout l’histoire du rock and roll : coupures de presse, documents, affiches, disques, etc.
Pour le Wiels, il a puisé dans ses archives, et a fait un tri subjectif, pour présenter "son" histoire de la musique populaire américaine. Il photocopie ces documents, les remet en page, les épingle sur de grands panneaux d’affichage. On a une vision éclatée, partiale, partielle, ce sont des "traces" de cette culture vue par Ruppersberg. A chacun s’il le veut de feuilleter, dans cette "mémoire" de l’artiste, cette "mémoire d’une époque", ces "archives" rangées par thèmes, en écoutant des musiques sélectionnées par l’artiste et qu’on choisit comme sur un juke-box.
Des nombreuses caisses sont poussées contre les murs symbolisant le reste des archives qui permettrait de faire d’autres expos tout aussi subjectives.
Cette installation, image d’un intérêt pour une culture, se ramène à des documents dérisoires, comme si c’était le lot inévitable de cette culture pop.
Le Wiels présente aussi des dessins et sérigraphies d’une série sans cesse recommencée par Allen Ruppersberg sur sa collection et sa bibliothèque, et son impossible "rangement". Ici aussi, c’est la mémoire même qui est symbolisée par ces rangements.
Le Polaroïd
Plus directement accessible est le travail de Robert Heinecken (1931-2006) qui bénéficie pour l’instant d’une rétrospective posthume au MoMA. Ce "paraphotographe" a, dès la fin des années 60, travaillé avec le premier Polaroïd (le SX-70) qui donnait instantanément des photos couleurs. Il l’a utilisé comme aujourd’hui on utilise l’iPhone, pour photographier son entourage. Et il met en scène ces images en les mêlant à de drôles de petits dialogues (en anglais). Le Wiels présente surtout, sa série "Lessons in posing subjects" toujours avec ce Polaroïd. Il photographie alors des milliers d’images de magazines de mode ou porno, les recadre, les range par série, leur donnant l’allure d’analyses sociologiques drôles.
Un travail en abyme sur les images, sur le vrai, le faux, la reproduction. Critique aussi de la société américaine et de la vacuité des magazines, recherche des archétypes imposés par la publicité. Dans ces séries, il assemble les photos de poses semblables des mains ou les mêmes déhanchements, la manière de se mettre les mains dans les cheveux. Le tout agrémenté à nouveau de textes amusants ou accusateurs. Ce qu’on croit voir n’est pas la réalité. L’image est un leurre et Heinecken lève le voile.
Allen Ruppersberg et Robert Heinecken, au Wiels, Bruxelles, jusqu’au 17 août. Infos : www.wiels.org