Martial Raysse, du pop joyeux au burlesque populaire
Plus de vingt ans se sont écoulés depuis sa dernière exposition parisienne au Jeu de Paume. Le voici en rétrospective assez exhaustive, au Centre Pompidou, dans un parcours qui retrace cinquante ans d’une démarche en dents de scie.
Publié le 05-06-2014 à 16h03 - Mis à jour le 06-06-2014 à 08h50
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Plus de vingt ans se sont écoulés depuis sa dernière exposition parisienne au Jeu de Paume. Le voici en rétrospective assez exhaustive, au Centre Pompidou, dans un parcours qui retrace cinquante ans d’une démarche en dents de scie.
Martial Raysse (1936), star du Pop art français des années soixante glorieuses, après s’être isolé du milieu artistique sans cesser de travailler, a amorcé au cours des années quatre-vingt un retour pictural qui a dérouté la plupart des acteurs du milieu de l’art (conservateurs, critiques et collectionneurs). Il renouait avec une peinture allégorique, champêtre, traditionnelle, avec une note volontaire de naïveté en liaison avec la mythologie. Accentuant cette voie, forçant la dose, il s’aventure dans des fresques aux coloris acidulés aussi épiques que déceptives, sortes de peintures d’histoire à l’ancienne mais du temps présent.
France/Etats-Unis
Attiré par les grandes surfaces "Prisunic" qu’il considère comme les musées d’art moderne, Martial Raysse acquière les objets neufs, colorés, en plastique, qui marquent son temps. Son regard n’est ni critique ni prémonitoire. Comme les pop artistes américains, il glorifie le présent, annexe les pratiques imagières de la pub et rend l’ambiance du moment.
Assemblagiste plus que sculpteur, il expose au "MoMA" de New York en 1960. Rapidement, il s’empare des figures féminines jeunes, icônes de la légèreté de la vie moderne et, joyeusement iconoclaste, leur apporte un tonus rayonnant par les couleurs fluo qui embrasent les visages. Il crée le pop art français en chef de file incontesté tout en adhérant au "Nouveau Réalisme" de Restany et à l’effervescence avant-gardiste niçoise.
Ses coups de génie se succèdent. Avec sa plage "Raysse Beach", installation avant la lettre, avec effigies féminines, jouets gonflables, sable et musique par le Wurlitzer de service, il atteint d’emblée le sommet en pionnier. New York, où il séjourne avant de rejoindre pour quelques années Los Angeles, l’électrise. Il s’empare des néons et claque des doigts pour faire jaillir la lumière. Il revisite en couleurs électrisées les scènes d’histoire de l’art empruntées aux reproductions en cartes postales "Made in Japan". Le nez sur Hollywood, il annexe le ciné qu’il dévie en scènes burlesques où il se moque des stéréotypes. Pionnier encore, il introduit le film dans la peinture et c’est l’artiste Arman qui joue l’exhibitionniste devant Suzanne ! Il exulte ! Il célèbre la vie et en rit. Il s’amuse. Il est l’avant-garde.
Coup d’arrêt
Audacieux novateur comme personne, il donne même un coup de pop au minimalisme par l’usage des néons abstraits et introduit l’interactivité dans une réalisation vidéo. En peinture, il opte pour le noir et blanc, travaille le relief du tableau et décompose les visages humains pour les reconstruire en puzzle. Pourtant, rentré à Paris pour participer aux échauffourées de Mai 68, il coupera rapidement les ponts avec le marché de l’art et les galeries, rejetant la commercialisation dont le pop art est désormais l’objet.
Il réalisera encore un long métrage narratif dans lequel il inverse le processus couleur rendant l’image comme irréelle. Un film sur la recherche d’un paradis mythique. Un récit utopique, psychédélique, piqué aux doses hallucinogènes.
Se retirant bientôt en communautés, puis s’isolant à la campagne, il tourne le dos au monde moderne. Ses sculptures, faites de petits objets récupérés et de papier mâché, débouchent rapidement sur des peintures dans lesquelles il introduit la dimension mythologique qui rejoint une atmosphère bucolique, campagnarde, traversée de légendes populaires. Sa peinture, hybride et passéiste, oscille entre naïveté et classicisme, entre archaïsme et imaginaire onirique. Sa sculpture rejoint la statuaire ancienne. La rupture est totale. S’il fait montre d’un métier assumé, il ne convainc cependant pas.
Kitsch théâtralisé
La dernière décennie est marquée par un retour au portrait. Les visages sont traités graphiquement et les couleurs puisent dans le maquillage vulgaire qu’il accentue jusqu’à la caricature.
Mais le sommet du pire kitsch est atteint quand il se lance dans les immenses allégories peuplées de personnages contemporains colorés à la guimauve misérabiliste. Il donne une vision d’un naturalisme clownesque de la société contemporaine coincée au bord de la mer, entre ses plaisirs de pacotille et les tragédies qui se trament au loin. Nostalgique d’une peinture qu’il voudrait d’histoire, Raysse s’engonce dans une théâtralité burlesque, parodique, dans des scènes de bravoure qui se veulent sans doute épiques ou homériques alors qu’elles sont picturalement maniérées et pénibles.
A force de rechercher à renouer avec la "grande" peinture, l’artiste s’est fourvoyé dans un héroïsme pictural de chromos.
Martial Raysse. Rétrospective 1960-2014. Centre Pompidou, Paris. Jusqu’au 22 septembre. De 11 à 21 heures. Fermé le mardi. Avec Thalys, Paris en 1h22, vingt-cinq fois par jour : www.thalys.com