Un été photo au féminin
Le "Summer of Photography" pour sa 5e édition a pour thème principal la question du genre. Bozar accueille l’expo-phare Woman : The Feminist Avant-Garde of the 1970s. La thématique est également abordée par l’expo Where we’re at, portant sur l’art féminin en Afrique.
Publié le 17-06-2014 à 18h11 - Mis à jour le 18-06-2014 à 14h46
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Le "Summer of Photography" pour sa 5e édition a pour thème principal la question du genre. Bozar accueille l’expo-phare Woman : The Feminist Avant-Garde of the 1970s. La thématique est également abordée par l’expo Where we’re at, portant sur l’art féminin en Afrique.
Le "Summer of Photography"
Le festival organisé cette année pour la cinquième fois par Bozar est, avant tout, une grande vitrine dans laquelle on trouve une trentaine d’expositions de photographies à voir essentiellement à Bruxelles jusqu’à la fin du mois d’août. Pas moins de 85 artistes présentés dans une vingtaine de lieux, c’est vraiment appréciable. Cependant, quoiqu’en pensent ses organisateurs, ce festival n’est pas à comparer aux célébrissimes Rencontres de la photographie en Arles. Une chose est de fédérer sans gros moyens des partenaires culturels qui se mettent rapidement au diapason de votre thématique (on pense par exemple ici à la sélection peu impérieuse de sept femmes de divers pays ayant réalisé une résidence chez Contretype) et une autre est d’organiser tout un festival avec un commissariat général bien doté. Ceci dit, "Summer of Photography" est une initiative qui vaut qu’on s’y attarde parce qu’elle suscite de belles dynamiques dans le milieu de la photographie et parce qu’elle leur donne une visibilité plus qu’enviable en ces mois d’été.
Thématique du genre
Cette année la thématique générale est celle du genre. On pourrait penser qu’il s’agit-là d’une façon de relancer le débat sur les relations hommes/femmes à la lumière d’images nouvelles qui réexaminent la question sous de multiples angles. A voir la programmation générale, il semblerait que la question du genre traitée ici soit surtout celle du féminin. Il est vrai que l’exposition-phare du festival présentée à Bozar - "Woman : The Feminist Avant-Garde of the 1970s" - ramène la problématique à ce qu’elle était précisément dans ces années-là. Le féminisme d’alors n’avait pas d’autre choix que de partir de zéro. Il lui fallait commencer par démonter des évidences culturelles (autrement dit la stéréotypie) à coups de bazooka; avant de commencer à aborder les relations entre hommes et femmes, il lui fallait d’abord parler de la femme autrement. Et parfois même très basiquement revendiquer son existence. Un demi-siècle plus tard, rien n’est définitivement acquis, mais tout de même on se dit qu’il n’est peut-être plus nécessaire d’exclure la gent masculine des questionnements sur le genre.
"Summer of Photography", jusqu’au 31 août. Rens. : http://www.summerofphotography.be
(Alexis Hunter: "Approach to Fear : Voyeurism, 1973")
La loi du genre
La première question qu’on pourrait se poser en découvrant l’exposition "Woman : The Feminist Avant-Garde of the 1970s." est celle du genre photographique. Voici une exposition présentée comme "phare" dans le "Summer of photography", mais dont on ne peut vraiment pas dire qu’elle fasse la part belle au médium photo. La deuxième question concerne le genre ennuyeux qui ne devrait pas rimer avec été. Pourtant, pas sûr du tout qu’après avoir vu les 450 œuvres des 29 artistes présentés, le public n’aie pas une impérieuse envie de prolonger la Coupe du Monde de Football. La troisième question est, comme nous l’évoquons plus haut, celle du genre féminin comme question exclusive sur le genre. Enfin, la quatrième question concerne choix d’une collection aussi pointue que celle de la Sammlung Verbund pour établir un fil rouge pour tout un festival.
Sans doute cette dernière interrogation pointe-t-elle le nerf de la guerre. Où l’on en revient aux moyens limités de Bozar. Il est en effet plus abordable de présenter une collection toute faite autour d’une thématique aussi large que celle du genre. Mais partant de là, il est évident qu’il faut en accepter l’angle réduit -le féminisme des années 70- ainsi que son côté peu photographique. Il faut aussi accepter une sélection d’artistes majoritairement peu connues. Ces acceptations successives font hélas qu’à un moment donné on se retrouve à expliquer une image où l’une d’entre elles (Brigit Jürgenssen) porte autour du cou une cuisinière en guise de tablier : "L’artiste veut montrer qu’elle porte le lourd fardeau du rôle unidimensionnel de la femme au foyer attribué à la gente féminine par le patriarcat " (sic).
Caricatural
Avec une œuvre aussi caricaturale, il est vrai que l’explication ne pouvait pas être bien subtile… Fort heureusement, dans cette exposition une belle place est donnée à la magnifique Francesca Woodman et à son travail poétique qui tranche tellement avec le côté démonstratif et poussif de certaines de ses consoeurs. Une autre belle place est tout aussi justement laissée à Cindy Sherman et à ses incarnations ironiques de stéréotypes du genre.
Dans le fond, peut-être aurait-il été plus avisé de miser sur la deuxième des quatre expositions que présente Bozar cet été pour en faire le repère du "Summer of photography". "Where we’re at" est en effet d’emblée beaucoup plus photographique. Le magnifique triptyque de Zanele Muholi (photo ci-dessous) est un bel exemple de ce qu’on peut donner à un public large sans tomber dans la facilité. Ces femmes aux couleurs de peau différentes font à elles deux une magnifique image. Plus exactement trois images relativement autonomes (chaque partie tient la route seule) qui, mises ensembles, posent plus de questions qu’elles n’assènent des grosses vérités. Surtout, et c’est la grande différence avec l’exposition "Woman : The Feminist Avant-Garde of the 1970s", ces questions-là sont avant tout des formes qu’on a plaisir à regarder. Rien de mièvre, rien de racoleur, simplement des esthétiques qui nous interpellent en direct, sans intellectualisations préalables.
(Le triptyque de Zanele Muholi : "Caitin and I" en 2009)
Sexisme et racisme
La vidéo-performance de Shigeyuki Kihara, les photos en noir et blanc d’Hélène Amouzou ou celles en couleur d’Hélène Jayet nous permettent d’entrevoir autrement les questions cruciales et en l’occurrence croisées du sexisme et du racisme. De ce qui semble être une fatalité quand on est africaine. Pointons aussi, pour répondre à la question en exergue de cette exposition "Que voyez-vous lorsque vous regardez une femme noire ?", le très beau travail d’Angèle Etoundi Essamba. De grandes images en noir et blanc d’une photographe qui dès les années 1980 a pu défier les représentations clichées des femmes africaines simplement en se montrant inventive. Et in fine autrement plus convaincante que pas mal de féministes avant-gardistes des années 1970.
"Woman : The Feminist Avant-Garde of the 1970s", exposition collective, commissariat de Gabriele Schor. Palais des Beaux-Arts, 23 rue Ravenstein. Jusqu’au 31 août. Rens. : www.bozar.be