Riad Sattouf: Retour vers "L’Arabe du futur"
Dans "L’Arabe du futur", l’auteur de bande dessinée retrace son enfance passée en Libye et en Syrie. Il y épingle les contradictions d’un père syrien tiraillé entre modernité et tradition. Une tragicomédie touchante, et brillante. Rencontre avec Riad Sattouf.
Publié le 20-06-2014 à 08h05
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Riad Sattouf possède l’art de raconter ce qu’il voit et ce qu’il a vécu. Les pages de son dernier ouvrage, "L’Arabe du futur", exhalent l’odeur "agréable" de la transpiration de sa grand-mère syrienne, rappellent le goût "des toutes" libyennes tombées des arbres, l’ambiance de la France des années 70-80. Le livre, premier d’une série (d’au moins) trois tomes, conte les séjours de la famille Sattouf (le père syrien, la mère bretonne, Riad, bientôt rejoint par son cadet) en Libye et en Syrie, entrecoupés de retours en France.
Chaque étape baigne dans une couleur : le jaune pour l’aveuglante lumière libyenne; le rose pour la terre ferreuse de la Syrie rurale; le bleu-gris de la Bretagne. "C’était une manière de signifier le dépaysement. Quand le lecteur lit de nombreuses pages jaunes et se retrouve dans un univers bleu, il ressent la rupture que vivent les personnages d’un voyage à l’autre" , explique Sattouf. "J’ai beaucoup de souvenirs de la petite enfance qui font appel aux couleurs, aux odeurs, aux bruits, à l’agressivité ou à la douceur entre les gens" , complète-t-il. "J’ai recréé les dialogues, mais je n’ai posé de questions à personne. J’ai préféré prendre le risque de déformer pour que les proches me fassent des commentaires sur lesquels je reviendrai dans les autres tomes."
Ce n’est pas la première fois que le Français se livre à l’autobiographie dessinée. Ni même qu’il revient sur son enfance, passée dans la Syrie de son père. En 2004, "Ma Circoncision" revenait sur un épisode ayant marqué l’auteur dans sa chair, dans tous les sens du terme. "‘Ma Circoncision’, c’est un peu le prépuce de ‘L’Arabe du futur’. Là, je m’attaque à la partie importante , explique Riad Sattouf, sourire en coin. "Ça faisait des années que je cherchais à raconter cette histoire. Je me suis dit que plutôt que de parler de ma personne, j’allais adopter le point de vue d’un enfant fasciné par un père en train de faire n’importe quoi."
Mon père, ce antihéros
Car cette bande dessinée tragicomique et touchante aurait en effet pu être sous-titrée "Mon père, cet antihéros". "Ce père paradoxal était plein de contradictions irréconciliables. Je trouvais ça intéressant de raconter laquelle va gagner", explique l’auteur .
Pour Abdel-Razak Sattouf, l’"Arabe du futur" devait être instruit, maître de son destin, affranchi des bigoteries, Arabe et fier de l’être. Mais Sattouf père, titulaire d’un doctorat en histoire contemporaine de la Sorbonne, est aveugle quant à la nature du régime syrien et admiratif de la façon dont Hafez-el-Assad mène la Syrie à la baguette. Il est moderne en France, aveugle en Libye, rétrograde quand il emmène les siens dans le petit village dont il provient, près de Homs. "En fait il avait un ego surdimensionné et se croyait prédestiné à faire de grandes choses. Il voulait participer au rayonnement du monde arabe dans le monde. Il me disait : quand tu fais un coup d’Etat, il faut fusiller tous les opposants. Alors le passage de ‘Tintin et les Picaros’ où Tapioca se plaint à Alcazar de ne pas être fusillé parce que c’est un grand déshonneur, ça me rappelait mon père" , ironise Sattouf. Qui souhaite que "le lecteur soit touché par ces personnages. J’essaie de le mettre dans la peau de l’enfant que j’étais" .
Du coin de l’œil
Un tel portrait eût été d’une rare cruauté ne fût la dose d’humour subtil, dont Sattouf épice son récit. Le fait est que la réalité dépasse souvent la fiction, des maisons libyennes sans verrou qui appartiennent au dernier qui les occupe aux cours d’injures donnés par les cousins syriens, en passant par la lecture paternelle du "Livre vert" de Kadhafi ou l’obstination du jeune Sattouf à dessiner des têtes de Pompidou.
Sattouf avait déjà fait preuve de son son sens aigu de l’observation dans "Retour au collège" et "La Vie secrète des jeunes". "J’ai eu la chance dans ma malchance à avoir des difficultés à être mal accepté par les deux cultures. Ma famille musulmane, ça leur posait problème que je sois d’origine française, mes cheveux blonds (oui, il était blond). Et en France, je portais ce nom un peu ridicule, sujet à blague. J’étais un mec un peu bizarre, qui restait en retrait. Ça permet d’avoir un regard un peu libre sur le groupe auquel on est un peu extérieur" , justifie-t-il de sa voix douce où point la malice.
Sur la guerre intestine qui déchire la Syrie, où il a vécu jusqu’au début des années 90, Sattouf ne s’épanche guère, en revanche. "Je trouve ça douloureux comme n’importe qui qui regarderait les infos. Aussi douloureux que la Corée du Nord" , commente-t-il pudiquement. Et de conclure : "Je fais mienne la citation de Rushdie : ‘Un homme n’a pas de racines, il a des pieds’."
Bio-express
Riad Sattouf est né le 5 mai 1978 à Paris, d’un père syrien et d’une mère bretonne. "La rencontre de mes parents, c’est un malentendu qui fait que je vous parle 36 ans plus tard" , commente-t-il.
Revenu en France au début des années 90, après une enfance passée en Syrie. Il publie sa première série en bande dessinée "Petit verglas" chez Delcourt, sur un scénario de Corbeyran, dans un style semi-réaliste à mille lieues du minimalisme expressif qu’on lui connaît aujourd’hui. Camarade d’atelier de Blain, Sfar, Bravo et Sapin, Sattouf trouve le ton drôle et désabusé qui est le sien avec "Les pauvres aventures de Jérémie", publié dans la collection Poisson Pilote de Dargaud. Depuis 2004, il publie chaque semaine dans "Charlie Hebdo" une colonne de strips intitulée "La vie secrète des jeunes" (trois tomes parus à l’Association), inspirée de choses observées dans la rue, les cafés et les transports en commun. Pour "Fluide Glacial", il crée le désopilant personnage de Pascal Brutal, hypermacho bisexuel (oui) vivant dans une France futuriste dirigée par Alain Madelin. Il publie "L’Arabe du futur" dans la nouvelle maison d’édition créée par Guillaume Allary, qui avait édité "Retour au collège" chez Hachette. Prochain tome prévu en 2015.
Riad Sattouf est également réalisateur de cinéma. "Les beaux gosses" a remporté un joli succès critique et attiré 900 000 spectateurs en 2009. Non dénué de qualités, son second long métrage, "Jacky au royaume des filles", n’a pas rempli les salles, en revanche.
"L’Arabe du futur. Une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984)", R. Sattouf, Allary Editions, 160 p., env. 20 €