Surprise: l’Agneau mystique a été largement surpeint
La restauration du retable de l’Agneau mystique des frères Van Eyck est un vrai polar qui apporte régulièrement ses surprises. La dernière a été révélée vendredi à Gand: des volets du polyptyque le plus célèbre du monde ont été en réalité très largement recouverts d’une couche de surpeint!
Publié le 20-06-2014 à 11h57 - Mis à jour le 20-06-2014 à 12h28
La restauration du retable de l’Agneau mystique des frères Van Eyck est un vrai polar qui apporte régulièrement ses surprises. La dernière a été révélée vendredi à Gand : on a découvert que les huit peintures de Jan Van Eyck qui couvrent le revers des volets du polyptyque le plus célèbre du monde, ont été en réalité, très largement recouverts d’une couche de surpeint appliquée dans la première partie du XVIIe siècle par un peintre inconnu. Et ce très large surpeint a souvent "étouffé" l’art génial de Van Eyck. On a décidé d’enlever maintenant ces surpeints pour redécouvrir le "vrai" Agneau mystique.
Rappelons que c’est en septembre 2012, sous la direction de l’IRPA (Institut royal du patrimoine artistique), qu’avait débuté le délicat et impressionnant travail de restauration de ce que beaucoup considèrent comme le plus beau tableau du monde réalisé en 1432 par les frères Jan et Hubert Van Eyck. L’opération continuera au moins jusqu’en 2017 et se fera en trois phases. Chaque fois, un tiers du polyptyque quittera la cathédrale Saint-Bavon pour rejoindre le musée des Beaux-Arts de Gand et y être soumis à des examens approfondis et à un hyper-délicat travail de restauration.
Crédit : Jean-Luc Elias - KIK IRPA
Un autre peintre
La première tâche fut de "nettoyer" ces panneaux des vernis successifs qui ont jauni avec le temps. On retrouva ainsi la blancheur des robes, l’éclat des couleurs et des détails disparus. Mais sous le vernis, on a découvert qu’en réalité, les vêtements de la plupart des figures (les donateurs, l’ange de l’Annonciation, la Vierge, les Sybilles) ainsi que les architectures (niches, murs, colonnes) avaient été abondamment repeints au début du XVIIe tout comme les sculptures des Saint Jean-Baptiste et Saint-Jean l’Evangéliste. De plus, ce "restaurateur" du XVIIe avait ajouté des rehauts de lumière sur les visages et les mains des figures, en contradiction avec l’art de Van Eyck.
Bref, ces panneaux n’étaient plus vraiment de la main seule des Van Eyck mais revus profondément par un inconnu qui a dû œuvrer pour cacher sans doute quelques lacunes (trous) ou pour cacher une couche de vernis jaunie.
Experts internationaux
Ces anciens peintres-restaurateurs n’avaient hélas pas le sens de l’observation de Jan Van Eyck, ni son intelligence des effets d’optique. Les volumes et les espaces ont été transformés et les jeux d’ombre et de lumière ont été perdus dans cette opération, il y 400 ans.
Avant d’enlever maintenant de si grands surpeints, il fallait s’assurer que les couches de peinture originelles de Van Eyck étaient encore bien là, sous les surpeints et sous l’ancien vernis. Pour cela, on a fait appel aux techniques les plus sophistiquées développées par plusieurs universités. Une réunion d’experts internationaux s’est tenue et a choisi de poursuivre le dégagement des surpeints (au scalpel, millimètre par millimètre, sous microscope) afin de retrouver la couche originale et de révéler la qualité exceptionnelle de l’œuvre.
Déjà en enlevant le vernis et un peu du surpeint, on a découvert une foule de détails jamais vus : des ombres portées derrière le portrait de la donatrice, la présence d’une toile d’araignée peinte, des jeux d’ombre et des effets d’optique. Toutes choses qui avaient été "écrasées" par ce peintre-restaurateur du XVIIe.
Crédit : Jean-Luc Elias - KIK IRPA
Révolutionnaire
Des détails ? Nullement. Dans plusieurs mois, on devrait revoir à quel point Van Eyck fut le grand révolutionnaire qui a tout inventé. Avec lui, c’est avant tout la lumière qui compte, dont il joue avec des couches de glacis successives, qu’il utilise pour donner aux corps du volume, pour créer des ombres, pour faire vivre les visages, les peaux, pour donner un aspect hyperréaliste aux matières, du velours aux tapis, pour rendre la réflexion de la lumière sur les matières et les corps.
Jan Van Eyck, né en 1400 et mort en 1441, est le premier qui a pu rendre vivante la plus humble des plantes comme la plus imposante église gothique. Il est le père du réalisme, peignant les visages et les corps comme il les voit. Mais un réalisme qui n’enlève pas l’âme, la psychologie, la beauté.