La jeune fille à la perle a retrouvé son Palais à La Haye
Après deux années de travaux, le Mauritshuis de La Haye, agrandi et rénové, rouvre ses portes. On y admire, comme jamais, les chefs-d’œuvre de Vermeer, Rembrandt, Hals, Holbein et les autres. Visite guidée.
Publié le 22-06-2014 à 17h27 - Mis à jour le 23-06-2014 à 10h32
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Toute la presse européenne était vendredi à La Haye pour découvrir le nouveau Mauritshuis après deux ans de travaux de rénovation et d’agrandissement. Le grand public devra encore attendre le prochain week-end quand le nouveau roi Willem-Alexander l’inaugurera. Le Mauritshuis est un joyau, un musée comme une bonbonnière, mais avec les plus belles collections de l’art hollandais du XVIIe siècle. Installé au cœur de la ville, dans l’ancienne maison particulière du comte Johan Maurits van Nassau-Siegen, alors gouverneur de la colonie néerlandaise au Brésil, c’est une demeure de style classique construite en 1644 et devenue, en 1822, un musée abritant le cabinet royal de peintures.
S’il n’y a que 800 œuvres dans la collection, dont 250 peintures exposées, celles-ci sont magnifiques. Plusieurs ont inspiré des écrivains pour devenir des best-sellers mondiaux. "Le Chardonneret" de Carel Fabritius est ainsi au cœur du dernier roman de Donna Tartt, succès planétaire. "La vue de Delft" de Vermeer est dans "La recherche du temps perdu" de Proust, quand Swann défaille devant tant de beauté. "La leçon d’anatomie du docteur Tulp" de Rembrandt vient à son tour d’être au centre d’un roman de Nina Siegal. Et, bien sûr, au sommet, il y a "La jeune fille à la perle" de Vermeer", rendue encore plus célèbre par le roman de Tracy Chevalier et le film où la jeune fille était interprétée par Scarlett Johansson.
Victime de son succès
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les chefs-d’œuvre du Mauritshuis ont voyagé pendant deux ans dans six musées, attirant au total le chiffre colossal de 2,2 millions de visiteurs. "La jeune fille à la perle", surnommée la "Mona Lisa du Nord", suscita des queues interminables à New York où 235 000 personnes ont pu la voir. A Tokyo, il y eut 800 000 visiteurs.
Quelle émotion aujourd’hui de revoir ces chefs-d’œuvre avec ceux d’Holbein, Rembrandt, Hals et les autres, revenus dans leur écrin hollandais. Le charme du Mauritshuis - une maison particulière intime et chaleureuse - était aussi son défaut : le musée était bien trop à l’étroit pour accueillir plus de 200 000 visiteurs par an (on vise maintenant plus de 250 000), n’ayant aucune facilité (restaurant, salle de conférence, salle d’expo temporaire, etc.). Le musée a donc trouvé 30 millions d’euros (essentiellement via des sponsors) pour mener deux ans de travaux sous l’égide de l’architecte Hans van Heeswijk. Le résultat est très épuré, efficace et respectueux du lieu.
Le Mauritshuis double sa surface, passant de 3 400 à 6 400 m2, en s’adjoignant une maison Art déco de 1930 située de l’autre côté de la rue. Restaurée, elle accueille une bibliothèque, une salle de conférences, les ateliers éducatifs, une brasserie et une salle - modeste - pour les expositions temporaires. On y propose d’abord une expo sur l’histoire du bâtiment mais, en février prochain, on y verra "les trésors de la Frick Collection de New York", un must !
Le coup de génie a été de relier ces deux ailes du musée par un "tunnel" sous la rue; mais un tunnel qui est plutôt un vaste espace lumineux souterrain, foyer d’accueil baigné de lumière naturelle. Il ressemble à ce que l’architecte Pei a fait au Louvre avec sa pyramide de verre. Les visiteurs rentrent à nouveau par l’avant du Mauritshuis et traversent les grilles dorées pour descendre par un escalier de verre dans un vaste sous-sol contemporain, au design très pur, sans "geste". C’est là qu’on retrouve les vestiaires, l’accueil, la boutique, la cafétéria, et c’est surtout de là qu’on part soit vers les collections toujours situées dans les anciennes salles, soit vers l’aile neuve. En descendant l’escalier, le visiteur comprend d’emblée la circulation dans le musée.
Soies de couleurs
L’ancien bâtiment a conservé tout son cachet et le visiteur distrait pourrait croire que rien n’a changé. Il n’en est rien. II a été profondément rénové pour s’adapter aux normes actuelles; on y a adjoint un ascenseur vitré. Et surtout, on a soigné les détails. Les fenêtres, changées pour améliorer le rendement énergétique du bâtiment, ont retrouvé leurs formes d’origine; les murs couverts de lin gris sont cette fois recouverts d’une belle soie brodée de fleurs (bleue au rez-de-chaussée, verte à l’étage, rouge dans les couloirs).
L’éclairage a été totalement revu. Il y a toujours l’abondante lumière naturelle qui donne, par exemple, tout leur sens aux Vermeer, mais on y a adjoint des lustres de Murano et de multiples spots en lumière Led qui éclairent les tableaux comme jamais.
Tous les chefs-d’œuvre ont retrouvé leurs cimaises. Souvent à leurs places anciennes. Mais on a ajouté des tableaux inédits, comme une magnifique nature morte de la peintre anversoise Clara Peeters, et on a placé, sur certains trumeaux de cheminée ou de portes, des œuvres comme le portrait de la famille de Constantin Huygens, de 1640. La famille qui, précisément, habitait la maison jumelle du Mauritshuis. Plus que jamais, ce musée est un vrai bijou….
La renversante "Vue de Delft" et "Le Chardonneret"
La collection "royale" du Mauritshuis est une suite de chefs-d’œuvre. D’abord, les deux plus beaux Vermeer, placés à l’étage, avec une lumière naturelle latérale qui les éclaire. "La jeune fille à la perle", avec ce turban oriental, la bouche entrouverte et humide, et la perle qui brille a la lumière faite d’un seul coup de pinceau, est d’une beauté infinie (voir ci-contre). Elle est mélancolique, pure, sensuelle, mystérieuse. Il paraît qu’au Japon, toutes les chambres ont sa reproduction. En face, "La vue de Delft", avec ses jeux d’ombre et de lumière, le traitement quasi pointilliste de certains bâtiments, le sentiment de tranquillité qui s’en dégage, les nuages, l’air et l’eau qui semblent vibrer. Sans doute le plus beau tableau du Mauritshuis.
Dans la pièce à côté, un des seuls tableaux à avoir été déplacé et être mis plus en évidence est le petit "Chardonneret" de Carel Fabritius (1622-1654), l’oiseau en trompe-l’œil attaché par une chaîne, peint l’année de la mort du peintre et qui a inspiré Donna Tartt pour son thriller magnifique (voir ci-contre).
Mais il y a aussi les Rembrandt. "La leçon d’anatomie" qu’il peignit à 25 ans à peine et, à l’opposé, son bouleversant autoportrait l’année de sa mort, peint en grosses touches, sans détails mais avec une émotion absolue. On y voit inscrit dans sa chair, sa fatigue et sa mélancolie. Et puis, il y a Frans Hals dont le garçon riant est devenu un favori du public. Peindre le rire est une gageure dont le peintre se joue.
Il y a les Van Dyck et les Rubens dont "Adam et Eve au Paradis" peint avec Jan Brueghel et, surtout, la vieille femme avec la bougie que Rubens aimait tant qu’il la garda avec lui jusqu’à sa mort.
Le taureau géant
Les deux paysages de sous-bois de Gérard David ont longtemps été qualifiés de premiers paysages de l’histoire de la peinture. Ils étaient les panneaux extérieurs d’un polyptyque religieux dont le panneau central est au Metropolitan.
Il y a les portraits célèbres par Hans Holbein, la "Déploration du Christ" par Rogier Van der Weyden, le "Portrait d’un homme" par Memling, les plus beaux Jan Steen, ou ce surprenant taureau géant de Paulus Potter (3,4 m sur 2,4 m) de 1647, qui fut longtemps, pour les Hollandais, le plus beau tableau du Mauritshuis par son hyperréalisme et le traitement des détails, y compris les mouches sur la robe des vaches.
Mais ne ratez pas les églises vides (l’iconoclasme) de Saerendam, les patineurs sur glace de Hendrick Avercamp, et ces natures mortes dont les Hollandais sont spécialistes : ces fraises étonnantes d’où sort une fleur d’Adriaen Coorte ou le tableau de fromages divers de la peintre (une des rares femmes peintres) Clara Peeters. Elles font bien le pendant à une magnifique nature morte de Chardin, belle comme un Manet.
Mauritshuis, La Haye, ouvert à partir du 28 juin. Jusqu’au 1er novembre, tous les jours de 10h à 18h, ensuite fermé le lundi. www.mauritshuis.nl. On peut se rendre en train direct pour La Haye12 fois par jour depuis Bruxelles grâce à la SNCB-Europe. www.sncb-europe.com