En direct des camps de 14

Guy Duplat
En direct des camps de 14
©Henri Delrée

14-18 Découverte d’un peintre prisonnier et très doué et retour sur la folie des monuments.L’exposition qui s’est ouverte au CIVA à Bruxelles par les Archives de l’architecture moderne (AAM) a réussi à trouver des thèmes nouveaux et intéressants parmi le flot d’expositions consacrées à la grande guerre. "1914-1918 et après" est en fait une triple exposition.

Le premier volet permet de découvrir 200 magnifiques dessins et aquarelles réalisées dans plusieurs camps de prisonniers en Allemagne par l’architecte belge Henri Derée (1988-1974). Jeune soldat, il fut rapidement fait prisonnier et passa les quatre ans de la guerre dans divers camps en Allemagne et puis, en Suisse. A sa mort, la famille donna aux AAM tout le fonds d’archives de cet architecte qui réalisa quelques très beaux immeubles à Bruxelles. Et parmi ces documents, il y avait tous ces dessins et aquarelles jamais encore montrés.

Henri Derée s’y révèle excellent dessinateur et peintre. Il obtenait le matériel par l’envoi de colis venus de Belgique et par la vente à des Allemands de ses dessins. Il a pu capter les attitudes des soldats, leur attente, parfois la crise d’épilepsie qui surgissait. Il s’est intéressé à l’arrivée dans les camps des prisonniers russes et italiens. Il montre les hommes mais aussi les paysages, les barbelés, les intérieurs des baraquements. Parfois, ses dessins deviennent quasi abstraits, d’une grande beauté.

Après la guerre, son style, dans ses plans, dans ses vues des cités-jardins auxquelles il participa, fut directement influencé par cet art qu’il exerça sans cesse dans les camps. L’exposition, dont le commissaire est Maurice Culot, montre aussi des documents d’époque, des livres et des textes racontant la vie des camps.

"Au revoir là-haut"

Le second volet de l’expo ravira ceux qui ont dévoré le dernier et excellent prix Goncourt, "Au revoir là-haut" de Pierre Lemaitre qui racontait l’arnaque montée par deux gueules cassées, rescapés de la guerre, vendant de faux monuments aux morts à la chaîne.

L’exposition évoque en effet la véritable folie des monuments funéraires au lendemain du conflit. Pour la première fois dans l’Histoire, on voulait célébrer le soldat et non plus le général ou le roi. On y ajoutait volontiers la veuve dans des scènes poignantes. L’Etat belge ne voulait pas de tous ces monuments, craignant que le pays ne soit envahi de monuments de piètre qualité et il rêvait plutôt de construire un grand monument national à la place, ce qu’il ne fit jamais, se contentant de la plaque au Soldat inconnu. Chaque commune (il y en avait des centaines) a fait appel à la générosité locale pour construire son monument en hommage à ses héros. Les sculpteurs et architectes s’y sont mis. Les AAM ont retrouvé des milliers de dessins et plans d’époque parmi lesquels Maurice Culot a sélectionné les plus beaux, signés parfois Henry Lacoste ou, plus tard, des projets utopistes du père de François Schuiten.

Imaginer ces monuments soulevait de multiples questions : laïque ou religieux, femmes nues ou non ? Et quelle phrase : "Halte-là !", "En avant" ou "On ne passe pas" ? L’âge d’or des monuments aux morts dura jusqu’en 1925, quand on abandonna la verve patriotique pour choisir le pacifisme. En Allemagne aussi on évoquait plutôt alors l’absurdité de la guerre avec Frans Masereel, Otto Dix, Max Beckmann ou Käthe Kollwitz.

Charlie Hebdo

Le troisième volet est un hommage à Jean-Marie de Busscher (1935-2001), personnage bourré de talents divers, qui collabora longtemps à "Charlie Hebdo", qui fit des BD, des films, grand dessinateur et chroniqueur, et qui inventa ce qu’il appelait "L’art patriotico-tumulaire". Il photographia systématiquement les monuments aux morts de la Première et de la Seconde Guerre mondiale, ou les bunkers, assortissant parfois, ses photos de commentaires décalés.

Guy Duplat

"1914-1918 et après", au CIVA, rue de l’Ermitage, 55, 1050 Bruxelles, jusqu’au 28 septembre. www.aam.be

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