Petits Soulages en Outrenoir

Bertels Laurence
Petits Soulages en Outrenoir

Du brou de noix pour entrer dans l’Outrenoir... Les enfants, et leurs familles, sont gâtés au musée Soulages. Parcours en noir et brun.Visite Laurence Bertels à Rodez Donnez-leur une feuille, du brou de noix, une ou deux instructions et ils entreront dans l’Outrenoir avec une aisance déconcertante. Pierre Soulages, en noir et blanc, noir et gris, noir et brun ou noir et bleu ouvre son univers mystérieux aux enfants. Il s’intéresse de près à la manière dont ils appréhendent son œuvre. Comme il l’a montré, le 31 mai dernier, lors de l’ouverture de son musée à Rodez, en ce pays natal où il a grandi, découvert sa passion pour la peinture et pour l’art du Moyen Âge.

D’un jardin presque en friche émerge un bloc d’acier Corten, architecture brute accordée aux tonalités de l’artiste de la lumière. Comme de plus en plus souvent dans les musées, les enfants y disposent d’un espace digne de ce nom. Spacieux, lumineux, plongeant vers les salles d’exposition, il y occupe une place de prédilection et en dit long sur la politique pédagogique du lieu. Accessible aux familles, l’atelier est appelé à vivre au rythme du musée qui, depuis son ouverture, a accueilli plus 35 000 visiteurs !

Vêtus d’un tablier, assis autour d’une grande table rectangulaire, une dizaine d’enfants peignent avec du brou de noix liquide ou en poudre. À leur droite, des pinceaux fins ou épais, du bambou et une fourchette. Ainsi varieront-ils les formes et les épaisseurs de leurs tracés. Leurs dessins sont accrochés aux cimaises à l’aide de magnets dans le même esprit que les aimants utilisés pour accrocher les œuvres aux cimaises en acier du musée. On craquera aussi pour le petit coin bibliothèque avec loupiotes tendance, compromis idéal pour un corner assis entre cosy et design.

Plus loin, dans une salle semblable au corps central d’une abbaye, des enfants sont assis à même le sol pendant que la guide leur explique pourquoi il a mis sept ans à réaliser la commande de Conques, les vitraux pour l’abbaye dont les couleurs devaient varier avec les lumières du jour. Un projet qui lui tenait particulièrement à cœur puisque c’est en voyant l’abbatiale qu’il découvrit sa voie. "Sa mère l’a soutenu et lui a payé des cours de dessin particuliers pour présenter l’examen d’entrée à l’académie des Beaux-Arts. Il obtint la première note pour son examen mais il décida qu’il ne voulait pas suivre le cours des Beaux-Arts car on allait lui apprendre à dessiner des paysages, ce qu’il faisait déjà depuis l’âge de 14 ans", explique la guide qui aura, au préalable, montré les œuvres de jeunesse de l’artiste, des tableaux figuratifs directement inspirés des paysages de son enfance. Une halte s’impose aussi devant la grande photo de Soulages dans son atelier à une époque où il travaillait déjà le grand format. "Il aimait les outils de bâtiment. Il était plus à l’aise dans un magasin de bricolage que dans un magasin des Beaux-Arts." Et de raconter aussi sa belle histoire d’amour avec Colette dont il tombera immédiatement amoureux. Elle abandonne vite la peinture pour se consacrer à lui, devient une femme d’affaires, va de galeriste en galeriste. Soulages expose à Paris, en Espagne, en Allemagne mais il ne gagne toujours pas beaucoup d’argent alors il se souvient de l’ébéniste qu’il avait vu teinter des meubles à l’aide de brou de noix et se lance dans l’aventure.

Des impromptus sont organisés le dimanche avec un atelier sur les rythmes, par exemple. Pour rattacher la famille à l’œuvre et à l’homme. Les notions d’opalescence, de translucide sont évoquées à travers des petits ateliers sur le vitrail et les tout-petits profiteront du tapis d’éveil créatif sur le noir, la matière - lisse ou granuleuse - la matité, la brillance... Les enfants n’ont pas de préjugés. Ce sont eux, parfois, qui emmènent leurs parents vers l’œuvre.

" On essaye d’ouvrir leur regard, de leur montrer que Soulages est un peintre contemporain. On peut leur parler d’art, de sacré à travers les vitraux de Conques, de l’outil, un argument auquel ils sont très sensibles. D’autant que celui-ci est au cœur de la création du peintre et qu’il en a inventé plusieurs pour réaliser ses tableaux. L’outil est une continuité de l’esprit. Tout le monde a un lien avec lui. C’est l’intelligence de la main. Soulages est un excellent connaisseur de matériaux car il a grandi dans un quartier d’artisans. À Rodez, le corps professoral s’est approprié le projet et a travaillé en amont du musée, pendant trois ans. Ce qui a notamment conduit à la création d’une bande dessinée et d’une pièce de théâtre. Lorsque Soulages a rencontré les enfants qui y ont participé, il a été ému et a souhaité passer du temps avec eux. L’avantage avec l’œuvre de Soulages réside aussi dans le fait qu’elle ne requiert pas de clés pour y entrer contrairement à la peinture classique", explique Benoît Decron, conservateur du musée.

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