Cronenberg, un univers
Tout l’été, l’Eye Museum d’Amsterdam accueille une riche exposition consacrée au cinéaste canadien. Visite.
- Publié le 09-07-2014 à 18h02
- Mis à jour le 09-07-2014 à 18h08
:focal(465x240:475x230)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/S5GQQF42GFAOJEWEFPOCSBVIAI.jpg)
Quand on sort de la gare centrale d’Amsterdam par l’arrière, impossible de manquer cette belle structure blanche posée de l’autre côté de l’IJ. Inaugurée en avril 2014, cette création moderne aux lignes élancées de l’architecte autrichien Delugan Meissl accueille l’Eye Film Institute, le musée du cinéma d’Amsterdam. Outre des salles (consacrées au cinéma d’auteur contemporain), un beau café-restaurant avec terrasse donnant sur le port, l’Eye propose le "Panorama", une installation vidéo qui permet de voyager de façon interactive dans ses collections. Tandis que, l’été, le musée accueille une grande exposition. Après Stanely Kubrick et Federico Fellini, c’est cette année David Cronenberg qui occupe les lieux jusqu’à la mi-septembre.
Cronenberg n’a jamais accumulé les récompenses (excepté un prix spécial du jury à Cannes pour "Crash" en 1996 et un Ours d’argent à Berlin pour "eXistenZ" en 1999). Il est pourtant considéré aujourd’hui comme l’un des cinéastes contemporains les plus importants. Mise sur pieds par le festival de Toronto, cette vaste exposition en apporte, si besoin était, la démonstration. Très riche, bien conçue, elle met en lumière de façon claire les grandes lignes de force d’une filmographie d’une extrême cohérence. Car de film en film, d’époque en époque, les thèmes se répondent, les figures sont récurrentes…
Organisée de manière chronologique et thématique, "David Cronenberg The Exhibition" retrace toute la carrière du cinéaste canadien, né à Toronto le 15 mars 1943. Depuis ses premiers longs métrages tournés en noir et blanc dans les bâtiments oppressants de l’université de Toronto ("Stereo" en 1969 et "Crimes of the Future" en 1970), chaque film est illustré de photos, d’extraits, de costumes, d’accessoires, de maquettes ou encore de sculptures préparatoires. Où l’on prend toute la mesure du souci du détail chez Cronenberg. On peut ainsi "admirer" les parasites aphrodisiaques qui ont tant choqué le Canada dans "Frissons" en 1975. Le débat est même remonté jusqu’à la Chambre car ce petit film d’horreur malade avait été produit avec l’argent du contribuable ! "Frissons" rapportera pourtant 5 millions de dollars et lancera la carrière de Cronenberg. Tout en posant les bases de son cinéma : violence, sexualité, fétichisme, métamorphoses des corps…
Fidèle à l’existentialisme
Dans la plupart des premiers films de Cronenberg, revient la question de la responsabilité de la science et des dérives de la technologie : "Rage" (1977), "Chromosome 3" (1979) et bien sûr "La Mouche" (1986), dont on peut voir à Amsterdam la fameuse capsule de télétransportation. Rien d’étonnant. Jeune, Cronenberg a longtemps hésité entre études scientifiques et littéraires. C’est finalement la voie du cinéma qu’il choisira, sous l’influence des mouvements underground new-yorkais des sixties, qui invitaient au "do it yourself". Et dès ses débuts, Cronenberg prend le cinéma très au sérieux. Comme l’on peut s’en rendre compte à Amsterdam dans une passionnante compilation d’interviews de différentes époques. Il s’y décrit notamment comme fidèle à l’existentialisme de Sartre et Beauvoir. "Il faut se créer une identité, se créer un personnage. Tout le monde est créateur, même si l’on croit parfois n’être que qui l’on naît."
Un cinéaste visionnaire
Rétrospectivement, il est fascinant de mesurer la dimension prémonitoire du cinéma de Cronenberg, qui a toujours anticipé les mutations de la société et des êtres humains. L’exemple de "Vidéodrome" est frappant. Dès 1983, le cinéaste y pressent les dérives possibles de la télévision. "La télévision est la réalité et la réalité est la télévision", fait-il dire à un personnage de théoricien des médias largement inspiré par Marshall McLuhan, que côtoya Cronenberg à l’université de Toronto. Un film où, comme souvent chez Cronenberg, corps et technologie semblent ne plus faire qu’un. Ce sera à nouveau le cas dans "eXistenZ" (sur la réalité virtuelle), avec son lot de déformations et d’hybridations bien illustrées ici.
L’exposition propose encore de très belles pièces du "Festin nu" (1991), dont les fameuses machines à écrire-insectes imaginées par William S. Burroughs, l’une des deux grandes sources d’inspiration de Cronenberg avec J.G. Ballard ("Crash"). On peut également admirer ici les élégants costumes de "A Dangerous Method" avec Viggo Mortensen, Michael Fassbender et Keira Knightley en 2011. A priori le film le plus classique du cinéaste. Traitant de la psychanalyse et de la folie, il s’inscrit pourtant parfaitement dans la cohérence de l’univers cronenbergien…
"David Cronenberg The Exhibition", jusqu’au 14 septembre au Eye Museum, de 11 h à 21h (18h le week-end). IJpromenade 1, 1031 KT Amsterdam. Rens. : www.eyefilm.nl
Visite virtuelle de l’exposition (en anglais et en français) sur http://cronenbergmuseum.tiff.net