Arles, une édition charnière
Une génération néerlandaise épatante dans une édition charnière des Rencontres photographiques d'Arles. On retrouve à la fois le travail à l'ancienne d'un Jos Houweling et celui plus actuel d'Erik Fens. Depardon, Parr et les autres pour le tomber de rideau de François Hébel.
Publié le 10-07-2014 à 17h52 - Mis à jour le 11-07-2014 à 09h19
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Pour cette 45e édition des Rencontres photographiques d’Arles qu’il dirige pour la dernière fois (voir ci-contre), François Hébel a voulu inviter des artistes avec lesquels il a travaillé durant ces treize dernières années. Martin Parr ne manque pas à l’appel, pas plus que Raymond Depardon qui chacun avaient assuré un commissariat exemplaire. N’y manquent pas les célébrités arlésiennes tel Christian Lacroix ou Lucien Clergue, pas plus que des collectionneurs privés comme W. M. Hunt.
Dans cette "parade", tout n’est cependant pas de la même eau. L’exposition sur le livre chinois concoctée par Parr dans un bâtiment moche plongé dans le noir risque bien d’irriter. On pense au public large obligé d’éclairer ce propos pour le moins pointu avec une baladeuse fournie à l’entrée. En revanche, celle en trois volets de Depardon consacrée aux monuments aux morts français est bluffante. Outre une douzaine d’images prises durant son gigantesque travail sur la France, on y retrouve les premiers résultats du recensement entrepris avec l’université de Lille III (en trois mois, un dixième des 40 000 monuments ont déjà été photographiés par les habitants) ainsi que les étonnantes mises en scène de "La Guerre des gosses" photographiées en 1915 par Léon Gimpel.
Enthousiasmante
On doit sans doute à l’inépuisable et inventif Erik Kessels la proposition la plus enthousiasmante de cette revue somme toute amicale de François Hébel. Celui que l’on a retrouvé plusieurs fois avec de merveilleuses trouvailles lors de ces dernières éditions, nous revient avec un étonnement (feint) sur " le besoin hollandais de documenter ". En l’occurrence, sous l’intitulé "Small Universe", il présente neuf artistes qui "documentent" un univers intime, bien évidemment de manière peu conventionnelle.
Ainsi pour son projet "Dans le journal", Hans Eijkelboom s’était donné pour but d’être présent dix jours de suite dans une photographie publiée dans la presse locale. Il a donc pris en filature les pigistes des quotidiens et s’est arrangé pour se faufiler dans leurs cadrages des événements du moment. Avec succès. Pour "Entouré de ma famille", il a sonné aux portes de maisons dont il savait le père absent et a demandé à la femme et aux enfants de faire une photo où lui s’affichait comme le pater familias. Pour "Tenue à 10 euros", d’août 2005 à juin 2006, il s’est photographié chaque semaine avec une nouvelle tenue dont le prix ne devait pas dépasser les dix euros. Au-delà de la performance amusante, ceci donne le portrait type - interpellant - de la personne "pauvre mais propre".
Formatage
Tout aussi attentif au monde qui l’entoure, Hans van der Meer dont on se souvient du désopilant travail sur les terrains de football amateur montre une série d’images sur les villes moyennes hollandaises. Au centre de l’exposition, un catalogue de mobilier urbain proposé aux municipalités. Autour, le résultat du formatage induit de l’urbanisme dont il est évident qu’il est plus dédié au commerce qu’à l’habitant.
La toute jeune Melanie Bonajo dont le thème récurrent du travail est le corps féminin, présente une série d’autoportraits en pleurs. Une manière pour elle de documenter une rupture au plus près de ses effets et pour nous d’approcher le thème universel du deuil et de la souffrance quotidienne. Tout aussi jeune et talentueuse, la photographe Milou Abel s’intéresse aux " personnes spéciales avec des habitudes spéciales" . Ici, il s’agit d’une jeune femme nommée Esther qui a la passion dévorante du vêtement, mais dont on sent à travers des images sans concession que ce n’est que l’expression d’un déséquilibre plus profond.
Dans le genre déjanté, la vidéo de Sema Bekirovic vaut son pesant de cacahuètes. On y voit l’artiste dresser des foulques à construire leurs nids avec des matériaux hétéroclites - bics, billets de banque, gants de caoutchouc - puis nous montrer le résultat peu engageant, proche de la décharge publique, de cette initiative baroque.
On est au plus près de l’intimité encore avec l’émouvante série d’images que Maurice van Es a prises en catimini d’un frère adolescent qui refusait d’être photographié. Ou bien avec ces agrandissements de détails de photos souvenirs de son enfance qui ont pour lui une charge émotionnelle toute particulière.
Sur le fil de l’infime
Enfin, parmi ces auteurs représentatifs d’un documentaire hollandais foisonnant, sur le fil de l’infime (mais pas de l’insignifiant) on retrouve à la fois le travail à l’ancienne - en noir et blanc et d’une rigueur à la Becher - d’un Jos Houweling et celui plus actuel - en couleur et plus léger - d’un Erik Fens. Le premier a photographié pendant de nombreuses années des séries d’objets ou de lieux d’Amsterdam auxquels personne ne prête d’habitude attention. Il en a fait des tableaux typologiques amusants et agréables à l’œil qui dressent en creux un portrait étonnant de la ville. Le second, quant à lui, présente une série d’images prises de sa fenêtre et où l’on voit à chaque fois le reflet de l’arbre du devant de sa porte sur le toit miroitant des voitures garées en dessous. Au plus près de l’expérience visuelle intime donc, bien en phase avec un documentaire à fleur de peau.
---> "Les Rencontres de la photographie d’Arles", 50 expositions jusqu’au 21 septembre, programme consultable sur www.rencontres-arles.com. Catalogue, éd. Actes sud, 560 pp., 46 euros.
Une page se tourne
Une page est en train de se tourner aux Rencontres d’Arles avec le départ annoncé de François Hébel, directeur de l’événement depuis treize ans. Une fameuse page si l’on se souvient de la situation dans laquelle l’ancien directeur de Magnum a trouvé le festival en 2001. On était au bord de la faillite et l’Etat français songeait sérieusement à en déposer le bilan. Un peu plus d’une décennie plus tard, les RIP ont pris une ampleur qui les positionne dans les festivals incontournables de l’été provençal, mais aussi parmi les plus grands festivals photographiques au monde.
Pour assurer une place propice à ce développement, Hébel a très tôt investi les anciens ateliers de la SNCF et y a installé une scénographie séduisante qui en a fait le point nodal des RIP. Mais précisément, depuis quelques années la fondation Luma s’est installée elle aussi sur cet immense plateau en bordure de ville. La mécène Maja Hoffmann a peu à peu conçu le projet d’un lieu immense dédié à l’art. Entre le rachat qu’elle proposait pour le contrôle total du lieu par sa fondation et le projet d’un partage équitable des ateliers avec l’installation d’un Centre international de la photographie tel que le voyait la direction des RIP, les autorités publiques ont fait le choix de la vente à la mécène.
Un bilan positif
Mis de facto en équilibre instable, François Hébel a donc décidé de partir. Son bilan est des meilleurs. Si chaque année dans ces colonnes nous avons pu nous permettre des critiques parfois sévères, c’est parce que la programmation audacieuse avec ses expérimentations ne pouvait pas laisser indifférent. Comme par exemple cette année l’éclairage à la baladeuse confié aux visiteurs d’une des expositions. Mais quoi qu’il en soit, le niveau des Rencontres depuis 2001 a toujours été suffisamment haut pour que jamais on ne se sente rentrer bredouille. Chaque année, on peut le dire, on repartait avec l’impression d’avoir fait le plein de découvertes.