Wiels, l’archéologie de nos connaissances
Le centre d’art révèle les œuvres d’Ana Torfs et de Mark Leckey, si différentes…
Publié le 02-10-2014 à 16h49 - Mis à jour le 03-10-2014 à 10h53
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Les deux nouvelles expos au Wiels sont fort différentes, mais pourtant certains points les rapprochent : ce sont deux artistes de 50 ans, peu connus chez nous et qui développent une véritable "archéologie du savoir" : que signifient les mots et les choses qu’on utilise ? Dont on est entouré ? D’où viennent-ils ? D’où nous trompent-ils ? Ainsi, tous deux renouvellent de manière singulière (mais complexe) notre regard sur le monde. Mais à part cela, tout les oppose.
La genèse "des mots et des choses"
Il y a d’abord la Bruxelloise Ana Torfs qui a beaucoup exposé dans le monde mais plus rarement de cette manière en Belgique (le commissaire est Dirk Snauwaert). Tout un étage présente plusieurs de ses installations réalisées à des moments très différents mais qui toutes pourtant sont liées d’une certaine manière l’une à l’autre. Et chaque œuvre, chaque objet qu’elle crée, résiste à une compréhension immédiate, tout en étant "d’une beauté artisanale" parfaite. Pour en saisir le sens, il faut un effort, lire le petit guide, ou le catalogue édité à cette occasion. Car chaque installation a sa complexité, et évoque la genèse "des mots et des choses", comme aurait dit Michel Foucault dont l’ombre plane sur cette expo. Elle dissèque nos connaissances à la manière de Derrida.
"Echolalia"
Le titre de son expo, "Echolalia", renvoie à l’écholalie une névrose dans laquelle le malade répète des mots ou des phrases prononcées par lui-même ou ses interlocuteurs.
Le mieux est de prendre des exemples. Sur tout un mur, elle présente "Legend", une suite de photographies, dont le titre a déjà un sens double : celui de légende (conte) et celui de la légende d’une photo. Elle montre des paysages lunaires d’une île des Canaries, comme vue à travers une longue-vue. Et sous la photo, gravées au laser sur des plaques d’aluminium, elle fait dérouler des explications historiques, légendaires et géographiques. Car ces îles furent un des points de départ des expéditions de Colomb vers l’Amérique, mais ce sont aussi les îles où arrivent les émigrés illégaux surveillés par les jumelles des policiers. Le regard sur ces îles est-il un regard colonisateur ou de sauvegarde ?
Sur deux murs, elle présente un grand ensemble sur la nomenclature des plantes exotiques, "Family Plot", où elle associe chaque fois un grand explorateur à la plante à qui il a donné son nom et à une vision du monde à son époque exprimée par un planisphère et des photos traités en négatif. A nouveau, on a de beaux objets, finement travaillés mais évoquant un sens complexe. Nommer des plantes, et a fortiori dans le système de Linné, par des noms d’Européens colonisateurs, c’est aussi s’approprier ces plantes, gommer les noms locaux. La quête scientifique est aussi toujours une quête de pouvoir.
De là, on peut glisser vers sa série "STAIN", où elle analyse les couleurs qu’on utilise, qui sont toutes des couleurs fabriquées par l’homme (bleu de Prusse, jaune indien, etc.). Des couleurs "impures" qui façonnent notre vision. Elle les décrit dans des boîtes avec une vitre de la couleur choisie, des plumes colorées et des images renvoyant à l’usage et l’origine de ces couleurs. Que ce soit par le film, le langage des sourds, la tapisserie, le son, Ana Torfs utilise tous les moyens pour glisser ainsi d’un signifiant à un autre, d’un rappel de Christophe Colomb à notre quotidien aujourd’hui où, comme dans une de ses installations, nous sommes des perroquets répétant des mots qui ne sont jamais vraiment les mêmes.
Ana Torfs, "Echolalia", jusqu’au 14/12.