Rothko rencontre Mondrian
Un parcours dans l’œuvre de Mark Rothko au beau musée communal de La Haye.
Publié le 03-10-2014 à 16h56 - Mis à jour le 05-10-2014 à 14h03
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Dans l’ouvrage qu’Annie Cohen-Solal consacrait à "Mark Rothko" en 2013 (Actes Sud, 285 pages illustrées), on lit, à propos de 1950, "définitivement une année faste pour Mark Rothko." Lequel Rothko avait rejoint le groupe des "Irascibles" en guerre contre l’ordre établi aux Etats-Unis. Sa carrière s’emballait.
Le 8 janvier 1950, le critique Howard Devree avait écrit dans le "New York Times" : "Ses grands tableaux à la galerie Betty Parsons sont vibrants, je dirais même stridents de couleur… Il semble que Rothko soit en train de rechercher une espèce d’effet Mondrian de type fluide, dans l’abandon des lignes et des contours, tout en conservant plus ou moins les territoires que Mondrian utilisait plus géométriquement."
Une des salles de la rétrospective pose côte à côte des Rothko et des Mondrian. Une bonne idée ? Peut-être, si l’on tient compte du cheminement très spirituel des deux comparses. L’idée convainc moins leurs tableaux en corrélation.
Figuratif et surréaliste
Juif russe né à Daugvapil, émigré aux Etats-Unis à dix ans, Marcus Rotkovitch, alias Mark Rothko (1903-1970), vécut des années sombres avant de se trouver un destin à la mesure de ses rébellions.
Elevé dans une tradition rigoriste, l’enfant éprouva grand mal à se faire respecter dans les écoles de son nouveau pays. Et ses études à l’université de Yale ont tourné court.
Marqué par cette éducation rigide, le jeune Mark se sera appliqué à une longue recherche identitaire, à une vie toute de réflexion.
Educateur et créateur. Entre 1928 et 1940, il se transforma en artiste engagé, politisé. A une époque où la ville de New York elle-même se forgeait une autre personnalité, se muant en capitale de l’art moderne.
Rothko enseigna l’art aux enfants de 1929 à 1952 et ce travail de passeur ne fut pas sans effets sur son cheminement, sa conquête plastique.
L’art pour religion
Si Rothko nous fascine, c’est qu’à force de méditation, de sublimation de la forme par la couleur, même quand il recourut aux tonalités plus sombres, il nous engage à l’intériorisation du regard, à la pensée qui s’immerge dans l’oubli des vacuités.
"L’art, écrivit-il, est une méthode pour forger une trace visible de notre expérience, visuelle ou imaginaire, colorée par nos propres sentiments et réactions, et indiquée avec la même simplicité et la même spontanéité que chanter ou parler…"
Tout Rothko et sa peinture se retrouvent entre ces lignes. Pour lui, "L’art est non seulement une forme d’action, mais une forme d’action sociale". Au début des années trente, Rothko connut une crise profonde. L’Amérique lui paraissait imperméable à l’expression artistique, imperméable à tout renouveau ouvert vers l’autre. Il s’est battu en peignant.
Sa voie prit des tangentes. Si l’on considère que ses années 40 furent décisives, il y eut ses phases successives : figurative, mythologique de 1940 à 1943, surréaliste de 44 à 46, éclectique de 46 à 49, abstraite pure depuis 1949.
Un parcours
Une photo à l’entrée nous campe un Rothko aux allures de prof attentif.
Les peintures à l’huile, aquarelles et gouaches des années 30 à 45 présentent l’attrait de documents rarement montrés. Puis, l’on passe de la forme diversifiée à celle de la forme qui se géométrise, des rayonnements s’y imposant par carrés chromatiques intenses.
Les autres salles abordent les années 50 et 60, essentielles et magiques, quand Rothko s’érige en apôtre de sa propre particularité. Forme et fond s’y interpénètrent dans une résonance magnétique et spirituelle. Enfin, dans le couloir et ses niches s’éclatent ou se recueillent quelques toiles emblèmes d’un Rothko souverain dans la modestie des éclats colorés.
Musée communal de La Haye, Stadhouders-laan, 41, La Haye. Catalogue. Jusqu’au 1er mars, du mardi au dimanche, de 11 à 17h. Infos : www.gemeentemuseum.nl. La Haye avec la SNCB : www.sncb-europe.com.