La bombe Picasso retrouve toute sa force
Grand événement à Paris : le musée Picasso fermé en 2009, rouvre ses portes ce 25 octobre, agrandi et rénové. Il double quasi ses espaces et le nombre d’œuvres présentées. Visite en avant-première avec Anne Baldassari, celle qui a tout réalisé. Visite en avant-première.
Publié le 12-10-2014 à 18h47 - Mis à jour le 12-10-2014 à 19h12
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Grand événement à Paris : le musée Picasso fermé en 2009, rouvre ses portes ce 25 octobre, agrandi et rénové. Il double quasi ses espaces et le nombre d’œuvres présentées. Visite en avant-première avec Anne Baldassari, celle qui a tout réalisé.
Anne Baldassari : « l’oeuvre de Picasso reste toxique »
A la mi-octobre, Paris sera le centre mondial de l’art avec, coup sur coup, l’ouverture de la Fondation Vuitton, le grand bateau de verre de Frank Gehry accueillant la collection Arnault (on y reviendra), et le 25 octobre, la réouverture du musée Picasso (133 ans jour pour jour après la naissance de Picasso le 25 octobre 1881 à Malaga).
Fermé pour travaux depuis août 2009, il rouvre par une grande exposition inaugurale qui durera un an et présente comme on ne l’avait jamais vue, la collection du musée, avec près de 500 oeuvres de Picasso dans un parcours fluide et très éclairant.
Tout est déjà prêt et nous avons pu faire le tour en compagnie d’Anne Baldassari qui a réalisé l’accrochage et mené cette longue aventure à bon port. On sait que c’est son ultime geste car en mai dernier, elle fut limogée de manière très abrupte par la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti pour, disait celle-ci, un management trop autoritaire ayant mené à de lourds problèmes internes avec une partie du personnel. Elle fut immédiatement remplacée par Laurent Le Bon, l’excellent directeur du Centre Pompidou de Metz, mais elle a obtenu le droit de réaliser « son » accrochage.
Bien sûr, on sent toujours l’amertume qui demeure chez Anne Baldassari qui glisse pendant la visite des phrases comme : « Je vous explique ma vision, comme cela vous pourrez témoigner après mon départ ».

L’hôtel Salé
Le bel hôtel Salé qui abrite le musée (lire ci-contre) n’a extérieurement pas changé. On a bien sûr respecté les façades classées. Mais dès qu’on entre, tout change. Il ne faut plus acheter son billet dans un coin et retourner sur la cour. Une grande salle d’accueil en pierre de Bourgogne reçoit les visiteurs. On en attend 750000 la première année (contre 350000 par an avant la fermeture) et la jauge a quasi doublé, le musée pourra accueillir 750 visiteurs à la fois contre 400 précédemment.
De cet accueil, on peut descendre en sous-sol, dans des espaces excavés, pour les vestiaires mais aussi pour un premier parcours passionnant déjà, sur les « ateliers de Picasso », riche de magnifiques tableaux (« L’acrobate », etc.) et des séries de photos prises par Picasso qui fut toujours un fan de photographie.
Pour pouvoir s’agrandir, le musée a été totalement vidé des espaces administratifs et techniques, transportés dans une maison voisine. Le musée se déploie dorénavant sur cinq niveaux, passant de 2500 à 5000 mètres carrés d’exposition. L’architecte Jean–François Bodin y a travaillé cinq ans (dont deux d’études préparatoires) pour restaurer le bâtiment, le mettre aux normes, l’agrandir, et préserver l’architecture que Roland Simounet y avait introduite lors de l’ouverture du musée en 1985. On retrouve les luminaires et le mobilier de Diego Giacometti. Les salles sont très blanches, lumineuses, aérées, avec une circulation évidente et fluide qui contraste absolument avec la circulation labyrinthique de l’ancien musée. Le jardin aussi a été refait avec l’architecte de jardins belge Erik Dhont.
Sur trois étages, se déploie alors l’œuvre de Picasso dans un parcours chronologique avec des « focus » plus thématiques. L’étage supérieur, les anciennes « combles », abritent désormais la merveilleuse collection privée de Picasso dans des salles mansardées sous une charpente XVIIIe siècle de toute beauté.

Il reste « toxique »
Le parcours commence par les premières oeuvres dont deux peintures déjà d’une rare virtuosité que Picasso (1881-1973) peignit à 14 ans et qu’il conserva toute sa vie : L’homme à la casquette et La fillette aux pieds nus. Anne Baldassari s’arrête pour un premier chef d’oeuvre : « La Célestine » (1904), de la période bleue, une femme un peu sorcière et maquerelle avec un œil blanc exprimant le regard intérieur que le peintre doit avoir.
La salle suivante est déjà un choc avec une suite d’autoportraits de Picasso, un genre qu’il n’aimait pas souligne Baldassari, ayant la phobie des miroirs depuis qu’en 1918, on lui annonça la mort d’Appolinaire alors qu’il était devant son miroir. Il a vu alors sur son visage la mort à venir. Et il garda toute sa vie une hantise de la mort.
On y retrouve un autoportrait de 1938, en Van Gogh, hommage à ce « art dégénéré » brûlé cette année là par les Nazis. Côte à côte, il y a surtout son autoportrait de 1901 et l’ultime, en « jeune peintre », qu’il peignit quelques mois avant sa mort en 1972. Il s’y est coiffé du chapeau de Van Gogh et tient son pinceau avec des doigts plein d’arthrose, hommage à Renoir qu’il aimait tant et qui avait fini avec la main presque paralysée.
Les œuvres de Picasso à la fin de sa vie furent parfois qualifiées de « séniles et académiques » rappelle Anne Baldassari. On voit bien à cet autoportrait et aux grands nus érotiques de la fin que c’est tout le contraire. « Dans les années 1968, il relance totalement les cartes. Son œuvre reste alors plus que jamais toxique et continue aujourd’hui à dominer la scène de l’art contemporain. »
Tout le parcours imaginé tend à montrer que Picasso fut toute sa vie un artiste « dérangeant, prônant l’insurrection de la peinture comme disait Breton, secouant tout académisme, déclarant la guerre à la joliesse ». Que serait-il aujourd’hui lui demande-t-on ? Elle répond sans hésiter : « Il serait un graffeur, un artiste du street art qui bidouillerait aussi sur Internet. En tout cas, il resterait contre toutes formes d’académisme et choisirait les techniques de son temps comme il le fit avec la photographie.»
« J’ai découvert la photographie , disait-il en 1933 . Je peux me tuer, je n’ai plus rien à apprendre. » « Mais s’il s’en approcha, ajoute Baldassari, il ne devint jamais abstrait, il trouvait cet art là décoratif, restant attaché à la figure qui est pour lui, la matrice de la pensée. »
« Pour moi , disait-il, peindre un tableau, c’est engager une action dramatique au cours de laquelle la réalité se trouve déchirée ».

L’art en train de se faire
Les 25 salles du parcours démontre le propos : la préparation des Demoiselles d’Avignon, l’art nègre, le premier collage de l’histoire avec sa « nature morte à la chaise cannée » (1912), la figure du Minotaure, etc.
Anne Baldassari se réjouit que ce ne soit pas qu’une suite de chefs-d’oeuvre, mais que s’y mêlent quantité d’oeuvres qui montrent la démarche de l’artiste, sa pensée, l’art en train de se faire, ses combats pacifistes, « il veut sans cesse réinventer le monde ».
On retrouve aussi les si émouvants portraits de ses femmes, de ses enfants, qui rendent la visite presque intime.
L’érotisme et la mort dominent-ils l’oeuvre ? « Toute l’œuvre n’est qu’une chose, répond Baldassari, un combat avec la peinture, un combat désespéré, un corps à corps, car Picasso sait qu’il mourra et que la peinture gagnera et subsistera. Quand dans ses tableaux, on voit la femme qui pleure, c’est le cri de la peinture elle-même».
Dans chaque salle, on découvre aussi ses sculptures (admirable tête de mort, sa Chèvre faite d’objets ramassés par « ce bricoleur de génie » comme l’appelait Cocteau). On y retrouves des statues d’art primitifs venues de ses collections et, au dernier étage, une succession de Degas, Matisse, Cézanne, Chardin, Renoir, Modigliani, Douanier Rousseau, etc. mis en parallèle avec son oeuvre, un étage qui à lui seul, vaut déjà le voyage.
Anne Baldassari partira le 25 octobre mais n’abandonnera pas Picasso puisqu’elle va rédiger maintenant le catalogue raisonné de la collection.

Histoire d’une collection
A la mort de Picasso le 8 avril 1973, il avait conservé 70000 oeuvres dans ses divers ateliers. Pour régler les droits de succession, les héritiers offrirent à l’Etat, en dation, un « premier choix » afin de réaliser un musée qui puisse montrer le déploiement et la chronologie de toute l’oeuvre. L’Etat en choisit 4500 (dont 203 peintures), en 1979. Les héritiers y ajoutèrent l’offre de 200000 pièces d’archives personnelles dont près de 20000 lettres et 15000 photographies. La fille de Jacqueline Picasso morte en 1986, ajouta une nouvelle dation d’oeuvres en 1990.
Tout ce qu’on voit aujourd’hui au musée vient de cette collection de 5000 oeuvres.
Laurent Le Bon prépare des expos temporaires pour dans un an et n’exclut l’apport d’artistes contemporains. Miquel Barcelo devait intervenir pour l’inauguration mais ce ne serait que partie remise.
Picasso avait dit : « Donnez-moi un musée et je le remplirai ». Pour abriter la collection, l’Etat choisit le magnifique hôtel Aubert de Fontenay dans le Marais à Paris construit entre 1656 et 1660 avec des influences de Mansart et Le Vau. Comme son propriétaire avait la charge de « taxer » le sel, l’hôtel s’appela l’Hôtel Salé. Entre 1979 et 1985, l’hôtel est rénové et restructuré en musée, par l’architecte Roland Simounet. Diego Giacometti était chargé du mobilier.
54 millions d’euros
Vingt ans plus tard, quand Anne Baldassari est nommée directrice en 2005, le bâtiment a mal vieilli. Il ne correspond plus aux normes, il est même dangereux pour les œuvres et pour les visiteurs. Son succès le rend trop étriqué. « Je voulais que cela devienne le plus beau musée du monde », nous dit-elle. Elle se lance alors dans la longue bataille du nouveau musée qui doublerait quasi les surfaces d’expo, remplirait toutes les exigences d’un musée contemporain et permettrait de montrer quasi le double d’oeuvres, passant de 250 à quasi 500 exposées.
Le musée ferma ses portes en 2009. L’Etat n’avait que 17 millions d’euros à offrir pour les travaux. Anne Baldassari entreprend alors des tournées à travers le monde de 20 expositions sur Picasso qui lui permettront d’engranger (avec des mécénats) 37 millions d’euros supplémentaires, soit un coût total pour les travaux, de 54 millions. Ces expos qui lui seront parfois reprochées, attireront à travers le monde six millions de visiteurs et lui permettront, dit-elle, de tester dans divers lieux radicalement différents, l’accrochage du nouveau musée.
Au printemps dernier, le musée était synonyme de luttes intestines. Il en reste des traces, les héritiers Picasso furent divisés sur le sort réservé à Baldassari. Mais le 25 octobre, place au résultat : il est de toute beauté.
---> Le musée Picasso, 5 rue de Thorigny, Paris, ouvert à partir du 25 octobre, du mardi au dimanche, de 11h30 à 18h (dès 9h30 le week-end). Très beau catalogue. Avec Thalys, Paris est à 1h25 de Bruxelles, 25 trajets par jour.