Retrouver toute la splendeur des Han
Il y a deux mille ans, deux grands empires coexistaient de part et d’autre de la Terre : les Romains et, à l’autre bout, les Han. Si la Rome impériale a déterminé tout l’avenir de l’Occident, les Han l’ont fait pour la Chine. Reportage sur place, au cœur des tombes Han et leurs trésors.
Publié le 13-10-2014 à 17h36 - Mis à jour le 14-10-2014 à 12h46
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Il y a deux mille ans, deux grands empires coexistaient de part et d’autre de la Terre : les Romains et, à l’autre bout, les Han. Leurs territoires avaient quasi la même taille et ils comptaient tous les deux 50 à 60 millions d’habitants. Si la Rome impériale a déterminé tout l’avenir de l’Occident, les Han l’ont fait pour la Chine.
La dynastie des Han, qui régna pendant quatre siècles, de 206 avant J.-C. à 220 après J.-C., fut fondatrice. Elle a suivi de près le règne du premier empereur, Qin Shihuangdi, dont on a retrouvé le tombeau saisissant à Xian avec toute une armée ensevelie sous terre. Mais à ces projets prométhéens du premier empereur, les Han vont apporter ensuite le souffle, la stabilité à l’abri de la grande muraille, la prospérité économique et l’humaine mesure.
Les Han ont donné leur nom à l’ethnie majoritaire du peuple chinois et à sa langue. Ils rédigèrent les premiers chefs-d’œuvre littéraires, mais aussi mirent au point un système de gouvernement avec une administration très perfectionnée pour guider l’essor que connaît alors le pays : c’était la " bureaucratie céleste" , un corps d’élite imprégné de la pensée de Confucius.
Les Han introduisirent une agriculture rationalisée et une diplomatie favorisant les alliances lointaines et les échanges, notamment par la route de la soie. Ils ont unifié la monnaie, les poids et les mesures.
A partir du 22 octobre, le musée Guimet à Paris propose une exposition exceptionnelle pour fêter le cinquantième anniversaire des relations franco-chinoises, rendant hommage aux "Splendeurs des Han". Vingt-sept musées chinois ont prêté plus de 150 pièces faisant souvent partie des "trésors nationaux".
En 1968, par hasard….
Ces dernières années, on a continué à découvrir des milliers d’objets et tombes Han. L’archéologie chinoise est une archéologie souterraine de tombes, le reste ayant disparu.
Un bel exemple se trouve à Mancheng, à côté de la ville de Shijiazhuang, à trois heures de Pékin. La plaine s’y élève en premières collines escarpées. Au-dessus de l’une d’elles, entre deux sommets, dans des lieux choisis par les géomanciens Han, on a retrouvé par hasard deux magnifiques tombes princières, de Liu Sheng, un des fils que l’empereur Jongdi eut d’une concubine et qui fut roi de Zhongshan de 154 avant J.-C. à sa mort, en 113, et de son épouse Dou Wan.
C’était en 1968, en pleine révolution culturelle. Les combats faisaient rage et une bombe fit s’écrouler la porte de pierre, cachée, menant par un long couloir creusé sous la roche à un premier tombeau. Une photo montre Zhou Enlai, le bras droit de Mao, constatant sur place la découverte.
Derrière deux portes de pierre et une porte de fer coulé, créée entre les pierres, on tomba nez à nez avec un sarcophage de jade. Il fallait dix ans aux artisans d’alors et des centaines de kilos de jade venu de Mandchourie pour coudre ensemble, avec des fils d’or, les 2 498 plaques de jade de ce linceul de pierre verte. Il épouse exactement le corps du prince, bedaine et sexe compris. Des pièces spéciales en jade bouchaient tous les orifices du corps pour empêcher que l’âme ne s’échappe par là. Seul, un trou au-dessus du crâne était prévu à cet effet.
Un tel linceul sera montré au Guimet. "Recouvrir les morts de jade était une tradition ancienne, on a retrouvé cette coutume dès le sixième millénaire avant J.-C., commente sur place Eric Lefebvre, conservateur en chef au Guimet et commissaire de l’expo. On a retrouvé de nombreux corps couverts de disques de jade. Sous ces sarcophages de jade, il y avait d’ailleurs des disques de jade. On croyait que cette matière pouvait conserver la fraîcheur des corps."
Les oiseaux dansants
Avant d’arriver à la salle du corps, on cheminait dans un couloir avec, à droite et à gauche, des salles creusées avec des "substituts" des chevaux du prince, et des réserves énormes de barriques de vin, des sièges et une tente de réception entourée de quantité d’objets magnifiques aujourd’hui au musée du Hebei et qu’on verra au Guimet. Comme ces léopards en bronze incrustés d’or, qui servaient à fixer au sol les tapis, ou cette lampe à huile faite d’une femme agenouillée avec les fumées de la lampe partant par sa manche pour rester confinées dans son corps. Ou ce brûle-parfum en bronze d’une finesse absolue avec un paysage de montagne, des animaux, et, quand le parfum brûle, des vapeurs odorantes qui se glissent dans ces paysages tel un brouillard sur la montagne.
A quelques centaines de mètres de là, on a retrouvé la tombe exactement semblable de son épouse. Les dimensions sont quasi identiques : 2 700 mètres cubes de roche, excavés, 51 m de long, 37 m de large. Là encore, on a retrouvé des centaines d’objets dont des jetons pour jeux. " On n’a encore creusé que quelques tombes princières Han , explique Eric Lefebvre, et pas une seule tombe impériale Han - même si on sait sous quels tumuli elles se trouvent. On a découvert plusieurs dizaines de milliers de tombes ces soixante dernières années."
Les princes comme Liu Sheng, malgré leurs fastueux tombeaux, avaient peu de pouvoir politique dans leurs royaumes, mais ils étaient riches des impôts que levaient leurs administrateurs. Ils entretenaient une cour, se consacraient aux intrigues, aux divertissements, aux femmes et à la boisson (une bière peu forte, faite au départ de céréales et aromatisée de plantes et de poivre). Un dé à 18 faces déterminait qui allait boire.
Ce fut une époque de plaisirs raffinés. Sur une fresque on représenta même des oiseaux élevés pour danser sur la musique !
Le nouveau musée du Hebei, un des mille musées créés récemment
On retrouvera au Guimet des dizaines de ces objets fascinants : bronzes incrustés d’or et d’argent, agrafes en or, miroirs, vaisselle en laque, ornements, jeux de spirales et de volutes. Les Han pouvaient compter sur des artisans exceptionnels travaillant le bronze avec une finesse magnifique. Les fêtes chez les princes Han conviaient acrobates, équilibristes, jongleurs, funambules, clowns, baladins venus d’Asie centrale.
Mais ensuite, les choses évoluèrent. Dès le début du premier siècle avant notre ère, les empereurs ont réduit le pouvoir de ces princes provinciaux et ont pris des mesures d’économies généralisées.
L’exposition au Guimet montrera bien aussi comment ces élites Han furent séduites par l’art des steppes. Ils devaient sans cesse se protéger des tribus agressives des Xiongnu au Nord ; ils nouèrent des alliances avec elles en échangeant des princesses. Il y eut aussi l’apport du lointain étranger via les débuts de la route de la soie et, au début de notre ère, l’arrivée progressive du bouddhisme.
En sortant de ces tombes de Mangcheng, on découvre la plaine chinoise avec partout, des villes et des tours de logement, répétées à l’infini et souvent inachevées. Prélude à l’éclatement d’une bulle immobilière ? Ou conséquence de la campagne anti-corruption du nouveau président chinois ?
Le tourisme chinois est en plein essor. On a construit un téléphérique pour atteindre ces tombes et un temple bouddhiste pour rendre la visite plus attractive. En bas, tout un faux village Han, avec une rue Han et des boutiques Han, est en construction. Le but est de "doper" le site avec un Disneyworld à la Han, espérant faire passer le nombre de visiteurs annuels de 300 000 à 1 million (il y a cinq millions de visiteurs pour l’armée enterrée de Xian).
Déjà Ikea
La ville voisine de Mangcheng est Shijiazuang, cinq millions d’habitants, une des plus polluées dans un pays qui prend enfin des mesures contre ce fléau. Là, en rue, on sent encore les odeurs des industries chimiques. Ici aussi, la surchauffe est patente : commerces de luxe internationaux, grosses voitures, cinq grands hôtels de luxe en construction, un skyline infini de tours. C’est là que se trouve le nouveau musée du Hebei, inauguré en 2012, d’un coût de 75 millions d’euros, avec 30 000 mètres carrés (dont 10 000 d’exposition). Un des mille musées construits par la Chine depuis cinq ans.
C’est là qu’on découvre les objets originaux trouvés dans les tombes de Mangcheng et on reste ébloui devant les deux linceuls de jade. Celui qu’on verra au Guimet vient d’une tombe découverte à Xuzhou chez un prince Chu. On retrouve à ce musée du Hebei les statuettes de terre cuite, les objets qui étaient les "substituts" dans les tombes, à la place des serviteurs et soldats qu’on enterrait jadis, vivants, auprès de leur maître. On admire la grâce des courtisanes, les charriots, les arbalétriers, la finesse des emboîtements métalliques. On a même retrouvé une instruction de montage : Ikea n’a rien inventé ! De nombreux objets seront au Guimet, comme ces léopards aux yeux rouges (des agates translucides où on a peint le rouge de l’orbite). Une grande clepsydre donnant l’heure. Sur une coupe à fard d’une princesse, du rouge est resté. Et un fin dragon de bronze veille sur deux pots d’onguents.
"Splendeurs des Han, essor de l’empire céleste", au musée Guimet, Paris, du 22 octobre au 1er mars