A Chang’an, l’immense Rome de l’empire des Han
Tous ceux qui s’intéressent à la Chine connaissent la date de 221 avant notre ère, quand un homme nommé Ying Zheng unifia le pays et mit fin à son morcellement territorial qui avait duré deux mille ans. Reportage à Xian et ses trésors.
Publié le 16-10-2014 à 07h39
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Tous ceux qui s’intéressent à la Chine connaissent la date de 221 avant notre ère, quand un homme nommé Ying Zheng unifia le pays et mit fin à son morcellement territorial qui avait duré deux mille ans. Il prit le titre de Premier Empereur sous le nom de Qin Shishuangdi. Sa tombe à Xian, avec son immense armée de terre enterrée, est une des plus grandes merveilles du monde.
Mais son usage immodéré de la force armée et son orgueil fou entraînèrent rapidement la chute de cet empire Qin et, quinze plus tard, son petit-fils capitulait devant Liu Bang qui allait devenir le premier empereur de la dynastie Han. Le musée Guimet à Paris, à partir du 22 octobre, rendra un superbe hommage aux "splendeurs des Han" avec 150 pièces exceptionnelles prêtées par les musées chinois. Cette dynastie régna quatre siècles (206 avant J.-C. à 220 après J.-C.) et avait d’abord sa capitale près de Xian, aussi grande et prestigieuse que l’était Rome à cette époque. Elle déménagea ensuite sa capitale à Luoyang à partir du début de notre ère, quand on passa de la dynastie des Han occidentaux à celle des Han orientaux.
Mais contrairement à Rome, il ne reste de Chang’an, un nom qui signifie "paix éternelle", aucun monument. Tout a été pillé, détruit, rasé et il faut alors faire travailler son imagination. On peut cependant visiter le site, à 10 km au nord-ouest de l’actuelle Xian. La ville était composée surtout de différents immenses palais impériaux. Le palais Weiyang, à lui tout seul, couvrait 500 hectares alors que la Cité interdite qu’on visite aujourd’hui à Pékin et qui abritait les derniers empereurs, ne compte que 72 hectares.
Les concubines froides
Liu Bang mit quarante ans à construire sa capitale qui fut terminée par le grand empereur Wudi. La ville avait la forme d’un quadrilatère de 3600 hectares. Deux grandes artères coupaient la ville perpendiculairement et avaient près de 50 m de large, de quoi y faire avancer une quinzaine de voitures de front.
La ville (et donc surtout ses palais) avait une enceinte de 25,7 km de pourtour. On a découvert les restes des murs de terre et de pierre et des douves. On y trouvait par exemple, le palais des Concubines dites "froides" qui avaient perdu les faveurs de l’empereur. Il y avait aussi le lieu des décapitations, et un marché aux marges de la ville. Le site a été fouillé depuis 1956. Il y eut jusqu’à 20 sites de fouilles. Aujourd’hui, le lieu ressemble à un immense parc. Pour préserver le site, les 15 000 villageois qui s’y étaient installés depuis des siècles ont été déménagés de force dans des tours d’habitation au-delà du périmètre de l’ancienne ville. On a construit une avenue de magasins pour les y faire travailler. Mais la grogne demeure quand ils voient que d’autres habitants ont pu profiter de la spéculation immobilière pour s’enrichir.
L’immense site de Chang’an est devenu un parc parcouru par des voiturettes électriques. Toutes les tours qui bordent ses limites lui donnent un air de Central Park dans Xian. La localisation des murs des anciens palais et des anciennes routes sont indiquées sur le sol. On y croise des amoureux ou des retraitées des chemins de fer venues y cueillir des pissenlits.
"Joie éternelle"
Un petit musée local présente quelques belles pièces retrouvées là. On y expose aussi les embouts de tuile et autres éléments d’architecture qui ont échappé aux pillages (tout le reste est parti, dont les légendaires colossales statues de bronze du palais de Wudi). Ces embouts sont ornés de motifs estampés et d’inscriptions qui pouvaient signifier "joie éternelle", "mille automnes, dix mille années".
On retrouve souvent des tuiles marquant les quatre points cardinaux : le dragon de l’est, le tigre blanc de l’ouest, l’oiseau rouge du sud et la tortue avec le serpent du nord. Un petit musée ouvert sur rendez-vous rappelle la splendeur passée de la ville et qu’elle fut le départ de la route de la soie et de l’expédition la plus célèbre. Quand en 139 avant notre ère, l’empereur Wudi envoya un ambassadeur vers la mer d’Aral, Zhang Qian, qui partit avec une troupe de cent personnes et revint douze ans plus tard avec un seul accompagnant, témoigner devant l’empereur de la richesse découverte à l’Ouest et de la volonté de paix des peuples qu’il y avait croisés.
Pour retrouver des objets Han, il faut bien sûr visiter, à Xian, le temple de la forêt des stèles pour y admirer les calligraphies d’époque (les Han inventèrent aussi le papier) et visiter un autre de ces grands nouveaux musées chinois, celui du Shanxi, à Xian. Là, les statuettes séduisantes et les objets de bronze travaillé, parfois de très grande taille, se succèdent et sont un enchantement. Si vous y allez, n’hésitez pas à payer le supplément pour visiter, en sous-sol, une des merveilles de Chine : des fresques pleines de vie et de couleurs retrouvées dans une tombe non pas Han, mais Tang du VIIe siècle. Plus tardif donc, mais quelle merveille !
Des armées de poupées
Revenant aux Han, il faut visiter dans la grande banlieue de Xian le mausolée de Yangling, où est enterré Liu Qi qui régna sous le nom d’empereur Han Jingdi (empereur de 154 avant notre à ère à 141), qui fut le quatrième empereur des Han. A côté, la tombe de son épouse, l’impératrice Wang. Certes, le site n’a pas la démesure de l’armée d’argile enterrée, mais il n’en reste pas moins extraordinaire et procure une émotion plus intime.
La dépouille de Liu Qi repose sous un tumulus funéraire de 31 m de haut, toujours pas fouillé. Le tumulus de l’impératrice fait 25 m de haut. Autour de l’empereur, on a repéré 81 fosses avec des milliers d’objets funéraires enterrés avec l’empereur et, autour de celle de l’impératrice, 28 fosses supplémentaires. A la surface du site, on a la trace d’une voie sacrée de 2 kilomètres de long. Un musée (encore un !) s’est ouvert en 2007 avec une fascinante muséographie. On pénètre sous terre et on arrive dans de grandes salles obscures avec des sols totalement vitrés qui permettent de marcher au-dessus des fosses découvertes. Celles-ci sont disposées en parallèle, séparées par des murs qui devaient supporter les toits de bois mais qui se sont effondrés depuis lors.
Forcé au suicide
Entre ces murs, pris dans la terre, on a dégagé des milliers de "poupées" de terre cuite de 50 cm de haut, hommes et femmes. Elles avaient au départ des bras en bois et des habits, mais ceux-ci ont disparu avec le temps, laissant ces armées de corps nus. Il y a quelque chose de poétique mais de triste aussi à voir toutes ces poupées entassées, comme dans une fosse commune.
Elles représentaient les serviteurs, les fonctionnaires du palais; on y a retrouvé les sceaux des intendants. Dans une seule de ces fosses, on a compté 2 375 figurines alignées sur onze rangs, avec 583 cavaliers et des modèles en bois de chars de combat dont il ne reste que la trace dans la terre séchée. Ces découvertes aident à comprendre le fonctionnement des royautés d’alors. Dans le mausolée de Yangling, on découvre aussi en surplombant les fosses, des centaines de figurines de terre présentant des troupeaux infinis de porcs et de petits chevaux.
La figure de l’empereur Jingdi, enterré là, est liée à celle du grand général Zhouyafu qui gagna pour lui les batailles décisives contre les "barbares" du Nord. Enterré dans son propre mausolée, il eut une fin tragique. L’empereur le força au suicide car il lui avait désobéi : au lieu de secourir les frères de l’empereur, il avait choisi d’abord de couper les lignes ennemies, une stratégie gagnante mais que l’empereur lui reprocha. Jingdi prônait une politique du "laisser-faire" et préparait le terrain pour son fils Wudi qui fut un très grand empereur et régna près de 60 ans (141 à 87 avant JC).
Comme la plupart des visiteurs passent par Pékin, il ne faut pas y manquer la visite du gigantesque Musée national sur la place Tian’anmen, né de la fusion du musée de la Révolution et du musée d’Histoire de la Chine. La section sur les Han y est d’une richesse inouïe et la fréquentation de ce musée grimpe si vite qu’on prédit pour très bientôt qu’il deviendra le musée le plus visité du monde, devant de Louvre.
"Splendeurs des Han, essor de l’empire céleste", au musée Guimet Paris, du 22 octobre au 1er mars