"Inside", un très troublant voyage en nous-même
La remarquable exposition « Inside » au Palais de Tokyo, renvoie à notre trouble condition humaine. Visite guidée.
- Publié le 11-11-2014 à 14h43
- Mis à jour le 11-11-2014 à 16h37
:focal(465x240:475x230)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/EWUP5UXELJGMBJ7VGW76YIZRHM.jpg)
Depuis que Jean de Loisy en a pris la direction, le Palais de Tokyo à Paris, a présenté coup sur coup des expositions spectaculaires et signifiantes. C’est la cas du parcours labyrinthique « Inside » dans tout le Palais, immergeant le visiteur dans de nombreuses installations renvoyant comme le dit Jean de Loisy, à notre humanité, notre solitude, notre violence, notre sexualité, mais aussi notre spiritualité. Les artistes nous disent « quelque chose de l’humain, sachant que l’inhumain en fait largement partie ».
Ce que Jean de Loisy ne dit pas ici, c’est que l’expo peut être aussi simplement drôle ou émouvante, en plus d‘être parfois « périlleuse », mettant le visiteur en situation de « regardeur », l’exposant « à l’indiscrétion et au danger psychique de sa visite ».
Finalement ce que font ces artistes, souvent jeunes et encore peu connus, c’est ce que faisaient déjà génialement Rembrandt, Bacon ou Picasso qui nous renvoyaient à notre condition trop humaine nos troubles, notre vieillissement.
Le hall du Palais annonce déjà la couleur avec comme un gigantesque cocon d’insecte s’étirant au-dessus des visiteurs qui peuvent y pénétrer, « inside », à leurs risques et périls.
L’entrée de l’exposition est une forêt apparemment impénétrable créée par Eva Jospin (la fille de l’ancien Premier ministre). On peut s’y faufiler et retrouver d’abord le film très émouvant, de Mikhail Karikis et Uriel Orlow, « Sounds from beneath » qu’on avait découvert à la Manifesta de Genk : d’anciens mineurs britanniques reviennent sur le site des mines et chantonnent les sons qu’on entendait à l’intérieur des boyaux.
Les replis de l’être
Le trouble peut être sensoriel comme chez le Brésilien Marcius Galan qui coupe une pièce en deux par une grande vitre. On craint de la toucher, … sauf qu’elle n’existe pas car il joue sur l’illusion d’un «intérieur ».
Marc Couturier a délicatement dessiné sur les murs de toute une pièce et Abraham Poincheval laisse les traces de sa performance au musée de la chasse à Paris où il vécut 13 jours, coupé du monde, à l’intérieur d’un ours taxidermé ! On voit l’ours à l’expo et le dispositif caverneux où l’artiste s’est replié.
Une des questions passionnantes que pose l’exposition et qui, à nouveau, est vieille comme l’art, est comment ce que l’artiste vit au plus profond des replis de son être, peut s’extérioriser, habiter le monde, se théâtraliser, s’ouvrir au regard du public, et, dans les meilleurs des cas, toucher celui-ci profondément ? Comment l’« Inside » de l’un peut devenir l’ « Inside » de l’autre.
Ryan Gander a construit en marbre blanc, les cabanes faites en draps par sa petite fille ! Au sous-sol, on découvre l’immense installation de Peter Buggenhout (le mari de Berlinde De Bruyckere) comme une partie des débris du tsunami au Japon (caravanes éventrées, morceaux de maisons). On circule avec un peu d’appréhension dans cette vision de fin du monde pour déboucher sur l’univers beau et étrange de Mark Manders, l’artiste qui représentait les Pays-Bas à la dernière Biennale de Venise, qui travaille à Roulers, et qui, dans des sculptures ressemblant à des bustes archéologiques sauvés du sous-sol, construit un « autoportrait de l’intérieur ».
Get out of my mind
On laissera le spectateur découvrir les nombreuses autres installations souvent troublantes comme la vidéo de Christian Boltanski où on devient voyeur d’une vieil homme qui ne cesse de tousser et de cracher du sang ou l’installation sonore de Bruce Nauman qui nous invite à entrer dans une pièce vide où retentit son cri : « Sortez de mon esprit ! ».
On retrouve les fantasmes sexuels mis en figurines kitsch que Nathalie Djurberg avait montrés à Venise, et la vidéo limite du Polonais Artur Zmijewski qui filme des hommes et des femmes nus, de tous âges, jouant à touche-touche comme des enfants, dans une cave, sauf que parfois la cave est une ancienne chambre à gaz.
Stéphane Thidet peut alors résumer le sentiment ressenti en montrant une cabane réelle où il pleut à verse, mais uniquement à l’intérieur.
Comme le dit Jean-Michel Alberola à la fin du parcours, « la sortie est à l’intérieur ».
« Inside » au Palais de Tokyo à Paris, jusqu’au 11 janvier. De midi à minuit tous les jours sauf mardi. A Paris avec Thalys, en 1h20 depuis Bruxelles.