ABCD… Collection d’art brut

La douzième du genre est réservée aux peintures, objets, installations et vidéos rassemblés par Bruno Decharme autour de la notion d’art brut. Qui dit collection dit, le plus souvent, passion d’un homme ou d’une femme pour un univers qui les subjugue.

Cinéaste, Bruno Decharme parcourt le monde. Curieux de nature, intrigué par ce qui sort de l’ordinaire et s’affranchit des normes, il a mis à profit ses déplacements pour aller aussi à la rencontre d’œuvres et d’individus réputés en marge.

Sa collection de plus de 3 500 pièces est le résultat d’un engouement authentifié par le souci de valoriser cet art brut, de le positionner dans le vaste concert de l’art, de réfléchir sur ses tenants et aboutissants. D’où la création, en 1999 à Montreuil, de son association ABCD (art brut connaissance et diffusion).

Trente ans de collecte et d’enthousiasme, de partage et convictions méritaient une messe, à son tour particulière. D’où ce florilège qui tend à faire le point sur un fait de société doublé d’une réalité objective.

Un lieu idéal

La rencontre entre Antoine de Galbert, collectionneur et homme ouvert à l’expression contemporaine au sens large, et Bruno Decharme débouche sur un rendez-vous prolixe en surprises.

Ce n’est pas la première expo d’art brut de la Maison rouge. Elle a accueilli la collection d’Arnulf Rainer, puis les œuvres d’Henry Darger et Augustin Lesage, présents dans l’actuelle mise en exergue.

Des recoupements thématiques ont été opérés de concert par le propriétaire du lieu et son invité et douze sections jalonnent un parcours qui se définit comme un cheminement entre l’alpha et l’oméga, du chaos originel au monde qu’entendent sauver des artistes visionnaires.

Ainsi oblitéré, le parcours ressemble à s’y méprendre à une exposition d’art contemporain, et pourquoi pas !

Tout en sachant qu’il peut être hasardeux, vaste débat loin d’être auréolé de positions partagées par tous ses intervenants, de mélanger sans restriction des expressions dont les fondements sont loin d’être communs. Et puis l’art brut englobe des tangentes.

Des expositions ont, ailleurs, tenté de faire cohabiter artistes professionnels et auteurs marginaux. Nous pensons que c’est une vue de l’esprit de vouloir considérer sur un même plan les uns et les autres.

Et ce pour des mobiles créatifs, assumés par les uns, partiellement inconscients chez les autres.

Œil et cœur ouverts

Dans la collection Decharme, point de cela, mais des artistes de bords divers. Des auteurs frappés d’un handicap et d’autres positionnés en marge des courants traditionnels pour divers motifs : folie passagère, caractère obsessionnel, visions médiumniques, etc.

Certains sont célèbres, tels l’Ecossais Scottie Wilson, l’Italien Carlo Zinelli, les Français Crépin ou Lesage, les Suisses Wölfli et Aloïse Corbaz.

L’envergure artistique de ces "vedettes" est telle qu’une classification ciblée ne se justifie pas. D’où une manière éclairée d’aborder pareille exposition : aller à l’abordage des auteurs œil et cœur ouverts.

Ces "inspirés des bords de route", comme on les appela parfois hier, ont bien des avantages à faire valoir et la moindre n’est pas l’innocence d’un regard neuf sur le monde. Leur monde est souvent empli d’inédit, de trouvailles, d’audaces, d’humour.

Il est urgent de préserver cet art brut - et c’est mal parti - d’une surenchère déplorable qui le précipiterait à son tour, et ses artistes avec lui, dans un marché sans scrupule et bien vain ! Une expo qui donne heureusement à réfléchir.

La Maison rouge, 10, boulevard de la Bastille, Paris XIIe. Beau petit catalogue coédité par Fage et Maison rouge (220 pages en couleurs, 24 euros). 

Infos : www.lamaisonrouge.org. Paris avec Thalys : www.thalys.com