Philippe Van Cauteren, le Gantois qui emmène les Irakiens à Venise
Surprise totale, en avril dernier, pour Philippe Van Cauteren (Zele, 1969), le directeur du musée d’art actuel de Gand, successeur de Jan Hoet. La Fondation Ruya le contacte et lui propose de remettre un projet pour un futur pavillon national irakien lors de la Biennale des Arts visuels de Venise en 2015. Ce qu’il fit non sans étonnement. Entretien.
Publié le 30-11-2014 à 16h15 - Mis à jour le 01-12-2014 à 11h01
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Surprise totale, en avril dernier, pour Philippe Van Cauteren (Zele, 1969), le directeur du musée d’art actuel de Gand, successeur de Jan Hoet. La Fondation Ruya le contacte et lui propose de remettre un projet pour un futur pavillon national irakien lors de la Biennale des Arts visuels de Venise en 2015. Ce qu’il fit non sans étonnement. La suite s’avéra positive puisqu’il est aujourd’hui officiellement le commissaire de ce projet qu’il met en place progressivement. La situation conflictuelle dans le pays, l’insécurité, la méconnaissance de ce milieu artistique fermé sur lui-même, la difficulté de la langue, n’ont pas refréné son enthousiasme. Il relève le défi. Rencontre à son retour de Bagdad.
La fondation vous a sollicité en tant que commissaire du pavillon de l’Irak à la Biennale de Venise 2015. Est-ce une conséquence de votre co-commissariat du pavillon belge en 2013 ?
Je ne pense pas. Ce fut une surprise totale pour moi car je n’ai eu aucun contact avec la fondation avant cette sollicitation. Peut-être est-ce le photographe irakien Jamal Penjweny qui participait à cette biennale qui a soufflé mon nom car nous nous connaissons et communiquons régulièrement... La fondation a certainement sollicité plusieurs personnes car c’est sur base d’un projet général qu’elle a finalement décidé de me proposer le commissariat. De mon côté, j’ai réservé ma parole car je voulais avant tout pouvoir investiguer dans le pays.
Vous vous êtes rendu récemment en Irak. Comment cela s’est-il passé car le pays est en guerre et objet de violences meurtrières ?
C’est une expérience unique et c’est très compliqué. Pour ce premier déplacement je me suis rendu à Bagdad où j’ai rencontré quelques artistes et où j’ai donné une conférence sur l’art contemporain à des artistes et étudiants. On avait prévu une présentation d’une heure et demie, elle a duré près de six heures tant la demande et la curiosité étaient pressantes. Ce type de rencontre avec informations sur l’art contemporain international n’a pas eu lieu depuis l’accession au pouvoir de Saddam Hussein ! Comme ce pays sous chape de plomb de la dictature était totalement isolé et qu’il le reste aujourd’hui malgré l’usage plus répandu d’Internet, les Irakiens sont avides de découvrir ce qui s’est passé depuis les années cinquante.
Les artistes ne sont pas confinés qu’à Bagdad, certains vivent dans d’autres villes. Est-ce à dire que vous retournerez en Irak ?
Bien entendu. Mais les questions de sécurité sont primordiales. Je ne me déplace qu’avec des gardes ou des militaires. Sous bonne escorte. Et les points de contrôle, même en ville, sont extrêmement nombreux, sans que l’on sache nécessairement à qui on s’adresse. Il est prévu que je visite des artistes que j’ai repérés dans d’autres villes mais évidemment pas dans la partie occupée par Eiil !
Quel est l’état d’esprit des artistes qui ont malgré tout retrouvé une liberté d’action ?
La mentalité qui régnait sous Saddam Hussein est toujours bien ancrée dans la plupart des esprits. Un certain conservatisme continue à dominer la très grande majorité de la création. La plupart des artistes n’ont rien connu d’autre qu’un art totalement au service de la personnalité du dictateur. Ils n’ont connu aucune ouverture. Dans ce pays l’art moderne s’arrête aux années cinquante, à Cobra. Seuls les anciens qui ont pu étudier à l’étranger ont eu accès à cette culture, à une formation à l’occidentale. Mais depuis, tout s’est arrêté. Il y a un vide énorme et le poids de la tradition, voire de la soumission, domine. J’ai rencontré des artistes qui, à côté de leur production officielle, développent une œuvre bien plus intéressante, mais ils n’osent pas la monter. Ils ne disposent d’aucun recul et personne n’est là pour les conseiller, les guider, pour entamer un dialogue.
Après la dictature, après l’intervention américaine, dans les rivalités intestines actuelles, quel est l’état du pays sur le plan artistique ?
Saddam Hussein s’est comporté comme Hitler ou comme les dictateurs soviétiques : les artistes étaient au service du pouvoir. Il existait néanmoins des musées d’archéologie - et l’on sait que le pays est extrêmement riche en ce domaine - et aussi d’art moderne. Les Américains qui étaient là pour des raisons purement économiques, pétrolières, ne se sont pas intéressés à la culture. Ils ont laissé faire. Les musées ont été pillés soit par des connaisseurs et les pièces sont aujourd’hui dans des collections principalement à l’étranger, soit par des gens du peuple qui y ont vu une source de revenu. Tout est éparpillé.
Existe-t-il aujourd’hui une pratique artistique prépondérante ?
La tradition la plus répandue est celle de la peinture. Ils prétendent qu’elle est la conséquence de l’islamisation remontant au VIIe siècle. Je pense qu’elle provient surtout de l’importation occidentale dans les années cinquante car, depuis, rien n’a bougé. La plupart de ces artistes n’ont pas le niveau suffisant pour être présenté à la Biennale de Venise. Leur peinture se limite souvent à la recherche de la beauté en se basant sur les traditions.
Comment comptez-vous articuler votre exposition à la Biennale de Venise ?
J’ai carte blanche, une totale liberté. C’est ma condition de travail garantie par la fondation. Il n’y aura aucune intervention officielle irakienne. Je sais aussi où je mets les pieds. Ce ne sera en aucun cas une exposition politique et certainement pas une provocation. La modestie et le respect seront de mise. Je compte rassembler cinq ou sept artistes de différentes générations car vu les cinquante années de vide artistique, peu de jeunes peuvent prétendre exposer. Pour le moment j’ai retenu trois artistes dont je tais les noms que je ne révélerai que lorsque la sélection sera complète. Le plus jeune a 25 ans, l’aîné en a 82, il ne travaille plus mais son œuvre est fabuleuse bien qu’en mauvais état. Il n’y a pas de peintre parmi eux ! A n’en pas douter, ce sera une découverte pour tout le monde.
Des œuvres seront-elles produites spécifiquement pour la Biennale ?
Effectivement et certaines seront même produites en Belgique car vu la situation du pays ce n’est pas pensable de les réaliser sur place. Je pense aussi qu’il y a une véritable nécessité à ce que les artistes puissent se réinventer dans une mixité novatrice. En février, si tout se passe bien d’ici là en Irak, je poursuivrai mon travail d’information et je compte monter une exposition d’art contemporain à Bagdad. Plusieurs artistes occidentaux sont déjà d’accord d’y participer. Après la biennale je prévois de reprendre l’exposition à Gand. Pas exactement la même quant aux pièces et de plus, je l’élargirai à d’autres participants. C’est un projet passionnant, fascinant.
Des artistes de la diaspora, dont certains ont notamment exposé chez Saatchi à Londres, participeront-ils à la sélection ?
Je ne pense pas, bien que certains soient excellents. Je souhaite surtout montrer ce qui se passe en Irak. Je vais néanmoins rencontrer des artistes comme Halim Al-Karim ou Hayv-Kahraman, mais aussi Hiva K, Sattar Darwish, et d’autres. On verra.
Un souhait ?
Que les artistes sélectionnés puissent obtenir un visa pour être présents à la Biennale de Venise. Ce n’est pas gagné !