La formidable vitalité des artistes marocains
Exception dans le monde arabe : l’art contemporain a la cote au Maroc.
Publié le 07-12-2014 à 08h53 - Mis à jour le 07-12-2014 à 09h10
Depuis que Jack Lang, l’ex-mythique ministre de la Culture de Mitterrand, a été bombardé à la tête de l’Institut du Monde arabe (IMA) à Paris, le grand vaisseau de verre dessiné par Jean Nouvel en face de l’île Saint-Louis, a retrouvé du punch. L’expo « Il était une fois l’Orient express » a fait le plein (260000 visiteurs). On annonce en 2015, une expo sur l’Egypte submergée (les fouilles sous-marines) et sur le street art en pays arabe. De plus, malgré son âge, Jack Lang garde l’entregent pour trouver des financements y compris dans les pays arabes, mais, insiste-t-il, « sans aucune influence sur la programmation ou les artistes, la preuve par la librairie où on trouve les livres les plus critiques à l’égard des dirigeants arabes. »
« Le Maroc Contemporain », à l’IMA, est une manifestation pluridisciplinaire qui invite toutes les formes de créations (art, design, mode, danse, etc.). Mais il y a surtout, l’expo sur trois étages avec 80 artistes, plasticiens, vidéastes, peintres, sculpteurs, photographes... Un parcours très éclectique sur la création contemporaine au Maroc (les artistes français issus de l’immigration comme la brillante Latifa Echakhch, née en France, n’y sont pas), préparé par Jean-Hubert Martin (le commissaire des « Magiciens de la terre », il y 25 ans) et un homologue marocain, après de nombreuses visites dans les ateliers et galeries au Maroc.
Un roi féru d’art
Le Maroc est le seul pays africain où l’art contemporain soit aussi actif. Il profite de la vogue de l’art actuel dans les riches pays du Golfe et d’un attrait du roi et de son entourage économico-politique, le très opaque et puissant Makhzen. Si Hassan II aimait l’orientalisme, Mohammed VI, préfère l'art contemporain qu’il achète massivement. La cour est obligée de s'y mettre et, par mimétisme, la grande bourgeoisie suit, créant ainsi un marché dans lequel s'engouffrent de nouvelles galeries. Surtout à Casablanca et à Marrakech. A Rabat, à l’initiative du Roi, s’est ouvert un premier musée d’art contemporain. Reste qu'au Maroc les artistes savent qu'ils doivent d'abord compter sur eux-mêmes, quasi jamais sur l'Etat.
Dans le contexte explosif des printemps arabes, le Roi a su habilement désarmorcer la contestation démocratique tout en confirmant l’essentiel de ses privilèges et ceux de son entourage. Un des acquis de cette ouverture partielle est une parole artistique plus libre même s’il reste des lignes rouges (on ne parle pas du Roi, de son entourage, ni de la question du Sud, l’ex-Sahara espagnol).
Les choix faits on suscité au Maroc même, chez plusieurs artistes, des réactions courroucées parlant de « copinages », mais c’était ans doute inévitable car les choix étaient difficiles même si c’est plutôt le mélange très éclectique des genres qu’on peut reprocher, cachant parfois, les propos les plus intéressants.
Mounir Fatmi, Yto Barrada
Les « stars » marocaines de l’art contemporain sont là : Mounir Fatmi, Yto Barrada, Younès Rahmoun. On y retrouve aussi ceux qui furent présentés en Belgique en 2012, dans le cadre de Daba Maroc, mais pas tous. Il n’y a pas ainsi, Hassan Darsi, dont l’œuvre très importante est aussi très politique.
Malgré les réserves possibles, l’expo reste passionnante et reflète bien cette vitalité marocaine et cette liberté rare dans les pays arabes. On peut y parler librement de religion comme Mounir Fatmi et ses « Rubik’s cube » avec la pierre noire de La Mecque ou sa projection des implacables « temps modernes » avec une calligraphie arabe. Ou parler librement du statut de la femme (il y a beaucoup de femmes artistes), comme cette vidéo performance de Nadia Bensallam qui la montre vêtue d'un Niqab intégriste, mais remonté jusqu'aux genoux, déambulant tête totalement couverte mais jambes nues dans les rues de Marrakech sous les regards étonnés des passants, ou les photos (notre illustration) de Fatima Mazmouz en « Super Oum », montrant son corps de femme enceinte mais avec la burqa sur la tête.
La politique n’est jamais loin et les artistes savent jouer avec les « lignes rouges », évoquant l’émigration douloureuse, le chaudron explosif des printemps arabes (les casseroles à pression avec des découpes des pays arabes de Batoul S’Himi) et même la question du Roi avec une vidéo d’animation d’Yto Barrrada où l’on voit que seulement au passage du cortège des officiels, la ville morte s’éclaire un temps pour retomber ensuite au néant. Ou cette performance d’Omar Saadoun qui s’est promené dans une ville espagnole, totalement enroulé dans un film plastique tentant en vain de crier « Dégage », le slogan des révolutions arabes.
Le Maroc contemporain, Institut du monde arabe, jusqu’au 25 janv., Paris est à 1h20 de bxl avec Thalys, 25 trajets par jour.