Garry Winogrand, un géant qui nous photographie
Le Jeu de Paume consacre une rétrospective au prolifique photographe américain.
Publié le 08-12-2014 à 17h31 - Mis à jour le 08-12-2014 à 17h32
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C’est un formidable photographe américain de l’après-guerre que le Musée du Jeu de Paume à Paris nous fait redécouvrir avec plus de 400 photographies de Garry Winogrand (1928-1984) retraçant tout son parcours. Il fut un photographe frénétique, sans cesse à l’affut de l’événement insolite, signifiant, drôle, ou énigmatique. Il fut d’abord le photographe de New York et de ses habitants, puis du reste de l’Amérique. Comme Friedlander ou Araki, il ne cessait jamais de photographier. Il a usé plus de 26000 films durant sa vie et laissa à sa mort 6500 rouleaux de pellicule de films jamais tirés.
C’est un vrai plaisir de suivre ces photographies pleines de vie, de scènes de rues à New York dans les années 50 et 60, avant que la ville ne soit « politiquement correcte » à « tolérance zéro ». Des passants, des hommes politiques, un saut dans le vide, un rassemblement autour d’un homme abattu, une fille qui crie en dansant, les coiffures de l’époque, les carrosseries des belles américaines, …
Le commissaire américain de l’expo, Léo Rubinfien résume bien la modernité de Garry Winogrand : « Son oeuvre innove parfois de manière radicale : compostions centrifuges, horizons inclinés, détails énigmatiques sortis de tout contexte. Elle fascine les nombreux admirateurs qui l’ont découverte. Pour qui veut bien les observer, les clichés de Winogrand sont la preuve que la photographie peut se révéler aussi riche, aussi porteuse de sens que les beaux-arts les plus canoniques : elles n’expriment pas juste une apparence fugace, l’« ici et maintenant » des choses, mais tout ce que nous savons et ressentons au plus profond de nous-mêmes. Cette oeuvre conjugue l’espoir et la jubilation des années d’après-guerre avec une puissante aura d’angoisse ; tel un projecteur qui illumine un pays au sommet de sa puissance mais lancé sur une trajectoire incontrôlée. Winogrand met à nu les grands traits de la vie américaine comme peu de photographes l’ont fait avant lui, ni même depuis : par sa beauté, sa brutalité, son humour parfois involontaire. Ses clichés révèlent un monde qui nous est resté familier et que nous avons à affronter encore de nos jours. »
La dramaturgie nécessaire
Il avait l’oeil pour saisir un regard apeuré, un couple étrange près de Central park portant dans ses bras des chimpanzés (notre photo). L’horizon peut être de travers, le sujet décentré, on peut apercevoir un corps étendu sur la route alors qu’une Porsche passe.
Winogrand était un joyeux drille. Un film le montre rigolard. Mais il avait une angoisse profonde qui se reflète dans ses photographies. Il mourra jeune, à 56 ans, d’un cancer foudroyant. Il ne croyait pas qu’une photographie pouvait changer le monde. Il voulait suivre les exemples de ses maîtres : Walker Evans ou le Robert Franck de « Les Américains ». Son souci était : comment rendre la photo plus intéressante, plus dramatique que le fait lui-même ? Comment créer dans une image, une ambiguïté, une dramaturgie que le commun des passants n’a pas vue ?
Il photographiait au grand-angle, se forçant à aller vers son sujet, au plus près, pour saisir l’instant, la grimace, le sourire, et l’ouvrir en un plan large.
Le parcours de l’expo est divisé en trois parties. La première est consacrée au New York des années 60. Dans la seconde, Winogrand parcourt le reste des Etats-Unis, de Dallas à la mort de Kennedy jusqu’à Los Angeles. Il en montre les étendues vides, les banlieues de centres commerciaux. Et la troisième partie est plus mélancolique quand Winogrand à la fin de sa vie, s’intéressait souvent à des personnages solitaires et anonymes aperçus au hasard de ses pérégrinations.
Pour lui, une photographie est une oeuvre en soi, une création détachée de son contexte mais qui peut signifier quelque chose de fort pour celui qui la regarde : « Le fait de photographier une chose, change cette chose, disait-il. Je photographie pour découvrir à quoi ressemble une chose quand elle est photographiée ». Ou, « Parfois, c’est comme si le monde entier était une scène pour laquelle j’ai acheté un ticket. Un grand spectacle mais où rien ne se produirait si je n’étais pas sur place avec mon appareil. »
Garry Winogrand, au Jeu de Paume, jusqu’au 8 février. Paris est à 1h20 de Bruxelles avec Thalys, 25 trajets par jour.