Emilo Lopez-Menchero, l'inclassable artiste bruxellois
Convié par La Centrale à réaliser une expo monographique, le plasticien bruxellois retrace rétrospectivement son cheminement. Il pose un regard politique sur son environnement tout en plaçant l’humain au centre de son art. Et il invite l’artiste espagnole Esther Ferrer, connue pour son engagement.
Publié le 12-12-2014 à 20h38 - Mis à jour le 14-12-2014 à 13h17
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Convié par La Centrale à réaliser une expo monographique, le plasticien bruxellois retrace rétrospectivement son cheminement. Il pose un regard politique sur son environnement tout en plaçant l’humain au centre de son art. Et il invite l’artiste espagnole Esther Ferrer, connue pour son engagement.
En invitant le plasticien bruxellois Emilio Lopez-Menchero pour une exposition monographique à caractère rétrospectif, La Centrale confirme sa volonté de soutenir des artistes belges dont la réputation déjà bien établie mérite une mise en exergue conséquente. L’institution occupe ainsi un créneau spécifique qui valorise nos artistes et les place dans un contexte favorisant une meilleure connaissance de leur œuvre pour le public autant que pour l’ensemble du milieu artistique belge et étranger. Un rôle indispensable pour la reconnaissance de nos plasticiens d’autant plus que le centre d’art de la Ville s’inscrit dans un contexte international. Une marque présente par l’invitation, au sein de l’exposition, d’Esther Ferrer, une artiste espagnole vivant et travaillant à Paris.
Le rôle de l’artiste
Architecte et plasticien, Emilio Lopez-Menchero (1960, vit à Bruxelles) manifeste une double préoccupation. D’une part un engagement humain très présent, de l’autre une relation à l’espace qui se traduit souvent par des interventions visuelles et auditives dans le contexte urbain. Son cri de Tarzan retentira à nouveau dans la ville pendant l’expo. Sa double formation produit des interactions et des interrogations dans lesquelles, très fréquemment, il intervient physiquement dans une nécessité d’implication personnelle.
Les questions qu’il se pose, il les projette vers nous tous de manière à nous les faire partager dans un contexte qui inclut le vivant, le vécu, la narration et le réel. Artiste, il se place dans le social, comme acteur dans cette société, et examine quelle est sa place, quel est son rôle et comment en tant qu’artiste il peut intervenir pour pointer des sujets qu’il estime importants et sensibles. Plusieurs vidéos témoignent d’actions, d’interventions, de performances, par lesquelles, sans être moralisateur, il conscientise les visiteurs par le partage de son implication. La question de l’identité, la sienne et celle des autres, est au cœur de sa démarche. Une identité mondialisée.
D’entrée de jeu, une vidéo le montre dans un musée d’Art ancien dessinant frénétiquement d’après des œuvres exposées. Nerveux, rapides, approximatifs, ses multiples dessins jonchent le sol. Il joue son propre rôle, il apprend au contact des maîtres et réalise des copies qui n’en sont pas réellement. Est-ce que ce sont des œuvres ? Quelle posture occupe-t-il dans ce vaste champ de l’art ? La réponse ce sont finalement les œuvres qu’il réalise, choisit de nous montrer et de mettre en action pour qu’elles agissent sur nous.
Essayer d’être
Sa série de photographies qu’il intitule "Trying to be" est symptomatique de son positionnement. En prenant la pose connue de personnages quasi iconiques, il s’interroge davantage sur son identité que sur la leur et il s’insère dans leur monde en essayant d’y trouver sa place entre Picasso, Frida Kahlo, Ensor, Cadere… Ou Carlos, un bandit notoire. Par ce biais, on perçoit le questionnement personnel et la mise à nu bien concrète d’ailleurs, pas que symbolique, dans son Balzac. Partant, il nous pose la question de notre insertion en tant qu’individu dans le rôle que nous sommes supposés jouer dans la société d’aujourd’hui !
Implication altruiste
Parmi les œuvres les plus emblématiques de cette démarche interventive et foncièrement humaine, on comptera "Brugse Huis" (part of Indonesie !) construction d’un centre fermé où résonnent des voix de femmes face à une série de dessins qui se passent de tout commentaire. Egalement son intervention urbaine (voir les photos) "Checkpoint Charlie" par laquelle il coupe la ville en deux : les beaux quartiers et les autres. Ou encore cette vidéo de sa déambulation à Venise lors de la Biennale : pour vendre des Atomium de pacotille il prend place parmi les marchands ambulants illégaux. L’artiste ne milite pas, il s’implique et sa cause, à travers l’art, c’est plus d’humanité, plus de respect et compréhension de l’autre, des autres, c’est plus de justice humaine. Il agit en observant le monde autour de lui, ici, au quotidien. Et sa peinture qui trouve enfin depuis peu son propre ton, dit surtout l’émotion et resserre les liens les plus intimes. Ceux de la famille, des proches, des gens qui le touchent. Et le monde de l’art avec ses dérives, heureusement, n’échappe pas à sa vigilance. Une œuvre qui s’accomplit sans détour. Belle, très belle, par sa force intérieure.
L'Espagne, la mère patrie
Invitée par Emilio Lopez-Menchero à participer à l’exposition, Esther Ferrer (1937, vit à Paris), artiste d’origine espagnole tout comme lui, y a placé une œuvre qui aurait dû participer à une exposition critique sur les commémorations du 500e anniversaire du débarquement en Amérique de Christophe Colomb, suivi d’une prise de possession des territoires, de l’obligation de conversion et de l’extermination des Indiens. Un cercueil noir en suspension comme un animal menaçant, une araignée dont on dit qu’elle dévore sa progéniture. Sur le cercueil est posée une épée plutôt qu’un crucifix, signe de violence, de guerre, d’un état militaire, et non de paix. L’annexion des territoires conquis sera sanglante. En fond, un drapeau espagnol avec les armoiries des rois catholiques, les monarques de l’époque. A l’audition, une voix qui s’exprime faiblement, qui chantonne, qui lit, qui raconte. Des chansons populaires, des poèmes et surtout un récit : Les Chroniques de la Conquête. Une œuvre qui selon l’artiste illustre "une période noire de l’Histoire de la péninsule Ibérique" et qui s’érige "contre le fétichisme de l’identité nationale" et contre les exclusions. Une œuvre puissante, "Madre Patria" ou "Invasion", qui rejoint pleinement la démarche d’Emilio Lopez-Menchero. Une œuvre éminemment politique vis-à-vis d’une Espagne qui, en 1492, entreprend un processus d’unification en centralisant le pouvoir dans une unité religieuse et linguistique et en excluant nombre d’étrangers. Une Espagne qui se ferme aux autres dans l’affirmation d’une identité nationale. "Les leçons de l’Histoire ont-elles été entendues ?", s’interroge aujourd’hui l’artiste.
Emilio Lopez-Menchero/Esther Ferre. La Centrale, 44, place Sainte-Catherine, 1000 Bruxelles. Jusqu’au 29 mars 2015. Du mercredi au dimanche de 10h30 à 18 heures. Fermé les 24, 31 décembre et les jours fériés. Des animations, des visites, des performances et des ateliers sont organisés durant l’exposition : www.centrale-art.be Publication. Petit catalogue de la série "Focus", textes (fr., nl., angl.) de Carine Fol (commissaire) et de Jean-Michel Botquin, illu. coul., Ed. La Centrale.