Des juges, critiques d’art?
La condamnation pour plagiat, ou plutôt non respect de la loi sur le droit d’auteurs, de l’artiste Luc Tuymans a suscité beaucoup d’émotion et d’opinions parfois radicalement opposées. Ce jugement est très dangereux. Car sous l’argument noble du respect du droit d’auteurs, on confond bien des choses. Commentaire.
Publié le 21-01-2015 à 21h06 - Mis à jour le 21-01-2015 à 23h10
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Un commentaire de Guy Duplat.
La condamnation pour plagiat, ou plutôt non respect de la loi sur le droit d’auteurs, de l’artiste Luc Tuymans a suscité beaucoup d’émotion et d’opinions parfois radicalement opposées, dans le monde artistique international. Certes, on reconnaitra que la ressemblance apparente est très forte entre la photographie de Jean-Marie Dedecker prise par Katrijn Van Giel et le tableau « A belgian politician » qu’en a fait Luc Tuymans. Si énormément d’artistes s’inspirent de photographies reprises ou prises par eux, leurs tableaux s’éloignent souvent davantage de la photo. Et certes, Luc Tuymans aurait pu prendre contact avec cette photographe belge bien connue.

En haut, une photographie du politicien Jean-Marie Dedecker prise pour « De Standaard » par Katrijn Van Giel un soir de défaite électorale en 2010. En bas, le travail de l'artiste Luc Tuymans.
Ceci dit, ce jugement (Tuymans va en appel) est très dangereux. Sous l’argument noble du respect du droit d’auteurs, on confond bien des choses. Et le terme « plagiat » est infamant pour ce qui est une œuvre dont seul le canevas est le même que la photographie, mais ni la texture, ni le message, ni le concept. C’est ne rien connaître à l’art contemporain de ne pas voir chez Tuymans une manière de détourner des images, de leur donne un tout autre statut, de les réinterpréter et d’y voir un simple « plagiat ».
L’art contemporain est une « parodie » de notre monde, un regard critique ironique sur celui-ci. Picasso disait « les bons artistes copient, les grands volent ». Steve Jobs disait qu’il n’avait jamais eu honte de voler les bonnes idées. Non pas pour les « plagier » mais pour créer tout autre chose.
C’est rejeter le travail de Gerhard Richter ou de Warhol que de n’y voir qu’une peinture plus ou moins bien faite copiée d’une photo. Marlène Dumas et Richter ont ainsi réalisé des bouleversants tableaux reprenant quasi telles quelles les photos d’Ulrike Meinhof de la bande à Baader « suicidée » en prison. Mais leurs choix, leurs manières de les peindre en ont fait des images neuves et fortes.
On regrette que jamais le juge ne parle d’art et de la liberté d’expression de l’artiste dans son jugement.
On peut craindre que ce jugement ne donne des idées à d’autres et ne vienne limiter cette liberté de l’artiste à s’emparer du monde tel qu’il est, y compris les médias et les images qu’ils charrient, de peur d’être accusés à leur tour de plagiat.
Bien sûr, les artistes ne sont pas au-dessus des lois, mais les juges devraient tenir compte des caractéristiques et des libertés de l’artiste.
Le juge intervient ici comme un critique néophyte qui ne verrait dans l’oeuvre de Tuymans que simple copie, un peu floue, ou un peu bâclée d’images photographiques. C’est humiliant.
Quand la justice se mêle d’art, elle doit en connaître sans doute mieux les concepts. C’est comme dans la saga longue et ridicule sur les décisions de l’artiste évincé par la Communauté française à Venise. Angel Vergara pour l’édition 2013 et Vincent Messen pour cette édition 2015 ont été un moment rejetés par des juges sur des bases très éloignées du monde de l’art. Les juges ont eu ainsi à juger de l’importance ou non d’une monographie d’un artiste actuel !
Heureusement qu’on a la justice, mais espérons qu’elle ne vienne pas empiéter sur le terrain de la liberté de l’expression de l’artiste et la limiter.