Angoulême, sous le signe de Charlie
Le Festival international de la bande dessinée débute ce 29 janvier. Le Belge Hermann, créateur de "Jeremiah", est en lice pour le Grand Prix. Mais cette 42e édition se fera aussi sous le signe de "Charlie Hebdo".
Publié le 29-01-2015 à 05h40 - Mis à jour le 29-01-2015 à 22h54
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Pour le Grand Prix d’Angoulême, décerné à un auteur de bande dessinée choisi par ses pairs, on prend (presque) les mêmes qu’en 2014, et on recommence. Finalistes déçus de l’année dernière, le Japonais Katsuhiro Otomo et le Britannique Alan Moore sont en lice avec le Belge Hermann.
Hermann : le cinquième Belge
S’il devait remporter le Grand Prix, Hermann ne serait jamais que le cinquième auteur belge à recevoir la récompense, en 42 éditions. Il rejoindrait ainsi au palmarès Franquin (primus inter pares, lors du premier festival, en 1974), Jijé (1977), Morris (1992) et François Schuiten (2002). Il deviendrait aussi le premier Belge issu de "l’école de Bruxelles" à être couronné - les trois premiers appartenant à celle dite "de Marcinelle". Formé à l’école par Jijé (pour le dessin) et Greg (pour les scénarios), c’est avec ce dernier qu’Hermann Huppen, de son vrai nom, fit ses débuts sur quelques courts récits des "Histoires de l’oncle Paul" dans l’hebdomadaire "Spirou".
Il entame sa première série en 1966, avec "Bernard Prince", puis avec le western "Comanche", toutes deux écrites par Greg, alors scénariste-phare du magazine "Tintin". Le trait au pinceau d’Hermann s’est rapidement affranchi des influences du créateur de "Jerry Spring" pour trouver sa propre fluidité, qui gagnera en puissance et spontanéité lorsqu’Hermann entreprit de dessiner au Rotring, au début des années 1980, avec la série "Jeremiah", qu’il anime seul, au scénario, aux dessins et, à partir de 1986, à la mise en couleur.
Forte de 32 albums, cette saga dépeint un monde post-apocalyptique où déambulent l’orphelin Jeremiah et son comparse Kurdy, voyou au cœur tendre. Hantée à ses débuts par les retombées d’un cataclysme nucléaire, sur fond de guerre raciale aux Etats-Unis, la série a évolué vers une espèce de néo-western. Hermann y aborde régulièrement, en filigrane, des thématiques politiques ("La Secte", par exemple, l’un de ses albums les plus puissants graphiquement, était une allusion déguisée au régime khomeiniste et à l’islam politique radical).
Toujours actif à 76 ans, Hermann a aussi signé une vingtaine d’albums "one-shots" depuis un quart de siècle, certains écrits par son fils Yves H.
Otomo : le premier mangaka
Né à Myagi, au Japon, le 14 avril 1954, Otomo est surtout connu du grand public européen pour la mythique série "Akira", publiée de 1982 à 1996 au Japon (et de 1990 à 1992 en français, par Glénat). "Akira" a pour cadre Neo-Tokyo, reconstruite sur les ruines de l’ancienne capitale, soufflée par une explosion nucléaire. Mettant en scène des mutants dotés de puissants pouvoirs psychiques, des gangs de loubards, des militaires, des révolutionnaires, la série a renouvelé le manga au Japon et largement contribué à le populariser en Europe et aux Etats-Unis.
Mais la carrière d’Otomo a commencé en 1973 et l’auteur a signé là-bas une trentaine de séries à succès. Il s’est aussi essayé avec bonheur au cinéma d’animation, adaptant lui-même son "Akira" en 1988 ou livrant en 2004 l’étonnant "Steamboy", vision rétro-futuriste de l’ère victorienne qui fut présentée au Festival de Venise.
S’il devait être sacré au terme de la 42e édition du festival, Otomo serait le premier auteur nippon à recevoir le Grand Prix (son compatriote Akira Toriyama, créateur de "Dragon Ball", reçut le prix du quarantenaire en 2013).
Alan Moore : le premier scénariste
Né en 1953 à Northampton, le Britannique est un des scénaristes les plus révérés. Début des années 80, il s’est fait remarquer en son Royaume-Uni natal avec sa reprise de "Marvelman", série désuète qu’il transforme en réflexion sur la nature des super-héros.
Il entame ensuite en 1982 la dystopie "V for Vendetta", hymne anarchiste en pleine ère thatchérienne, qui connaît aujourd’hui encore une pérennité inattendue : le masque des "Anonymous" est emprunté à celui du héros de la série, mystérieux anarcho-terroriste mettant à mal le régime fasciste qui a pris le pouvoir en Grande-Bretagne.
La maturité de l’écriture de "V for Vendetta", qui fit entrer le comic-book dans l’âge adulte, attire l’attention de l’éditeur américain DC Comics. Moore va revisiter pour celui-ci la série gothique "Swamp Thing", ainsi que des "Batman" et des "Superman".
Mais c’est avec les "Watchmen", série traitant des stéréotypes et des névroses des super-héros, que Moore établit sa réputation de scénariste hors norme. Suivront, notamment, le glaçant "From Hell", "La Ligue des gentlemen extraordinaires" et le conte érotique "Filles perdues", qui dévoile sous un jour nouveau les fantasmes des grandes héroïnes de la littérature anglo-saxonne.
Autant de livres fascinants, subversifs, érudits - qui ont fait de Moore le premier scénariste de bande dessinée le plus (mal) adapté au cinéma… Il est de même le scénariste le plus primé, avec notamment un Eisner Award (les Oscars de la BD), trois Jack Kirby Awards, sept Harvey Awards et trois prix à Angoulême. En cas de Grand Prix, il en serait le premier scénariste récipiendaire - et aussi le premier sujet de Sa Majesté, ce dont il se ficherait d’ailleurs comme de sa première histoire courte : Alan Moore a déjà annoncé qu’il refuserait le prix…