Le Grand-Hornu brouille les frontières entre art et design
"Futur archaïque" au Centre d’innovation et de design révèle des objets étonnants.
Publié le 05-02-2015 à 19h08 - Mis à jour le 06-02-2015 à 08h11
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Si vous croyez encore que le design signifie fonctionnalité des objets et lignes épurées, vous serez estomaqué en visitant la nouvelle et étonnante exposition au Centre d’innovation et de design (CID), au Grand-Hornu (ex-Grand-Hornu images). On y voit une succession de créations plus proches de la sculpture que d’objets usuels, d’une inventivité totale et d’un baroque absolu, qui mêlent à des techniques futuristes (imprimantes 3D, etc.), des formes (branches, os humains) et des matières les plus archaïques : os de baleine, silex taillés, branches d’arbres reprises telles quelles, troncs carbonisés, estomacs de mouton ou de vache, concrétions calcaires, grains de blé, etc.
Ne pas oublier d’où on vient
Le bel oxymore du titre "Futur archaïque", résume parfaitement la démarche de ces designers actuels venus des quatre coins de l’Europe. On retrouve, au centre de cet ensemble, l’œuvre tutélaire d’Andrea Branzi qui, il y a vingt ans déjà, imaginait un superbe service à café complet qui mélange du bois de bouleau brut, sans traitement, avec son écorce, et de l’argent précieux.
Yves Mirande, le commissaire de l’exposition, la commente aussi en sociologue. Il y voit un signe de la crainte, dans nos sociétés, d’un futur qui serait dominé par la seule technologie et les seules machines. On sait que l’ingénieur en chef de Google (et Stephen Hawking) prédit pour 2045 un changement de paradigme pour l’humanité quand l’intelligence artificielle aura supplanté, disent-ils, l’intelligence humaine.
Ce futur de science-fiction, couplé aux craintes écologiques et à l’épuisement des matières, amène ces jeunes designers à se tourner vers nos racines les plus primitives. On ne peut pas, pensent-ils, aller vers le futur, sans se retourner aussi vers notre passé. Le tout numérique, commente Yves Mirande, est très beau, mais il ne faudrait pas oublier la nature d’où on vient et où on vit.
Vessies de porc
Retrouver nos racines et renouer avec la nature passe chez eux par la reprise, telles quelles, de matières et formes aussi vielles que l’homme. On peut y voir une poésie nouvelle, un design post-apocalyptique (que fera-t-on demain dans un monde épuisé ?). C’est du postmodernisme absolu, teinté d’un abandon de l’idée de progrès et d’une science qui résoudrait tout.
Un design qui brouille les frontières habituelles entre art et design, entre fonctionnalité et objets de contemplation. La designer néerlandaise Julia Lohmann crée des lampes orangées dans des estomacs de mouton et de vache. Charles Trevelyan retrouve les formes des branches dans ses tables et luminaires. Le studio Wieki Somers utilise la forme du crâne de vache et la peau de vache pour une théière. Le designer néerlandais Joris Laarman s’inspire de la forme des os humains pour ses fauteuils.
Silex taillés
Stéphane Margolis a placé des céramiques de Vallauris pendant plusieurs semaines sous une source calcaire jusqu’à les recouvrir de concrétions calcaires comme des stalactites. L’Atelier Van Lieshout (qu’on voit autant dans les expos d’art que dans celles de design) conçoit une chaise longue en forme de fossile et une lampe comme un os. Le Peugeot Design Lab a un banc moitié métal, moitié roc creusé. Formafantasma a aussi créé une ligne mêlant le verre et le bois carbonisé. Une vidéo montre comment on peut réutiliser le pigeon voyageur face aux technologies high-tech. Ami Drach et Dov Ganchrow construisent des outils hybrides faits de silex taillés et de manches faits par imprimantes 3D.
Yves Mirande voit aussi dans ce design "futur archaïque" une manière de retrouver notre part animale, longtemps niée et qui nous permet de repenser notre rapport à la terre et à la nature.
Vous ne pourriez utiliser ces étranges objets dans la vie courante, mais ils sont passionnants par l’histoire qu’ils racontent sur nous et nos sociétés du XXIe siècle, effrayées par le futur.
"Futur archaïque", CID, Grand-Hornu, jusqu’au 19 avril, fermé le lundi.