Féminisme et sexualité en Afrique
Au Wiels, six femmes artistes parlent corps, préjugés et féminisme.
Publié le 13-02-2015 à 18h56 - Mis à jour le 15-02-2015 à 09h08
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Ce printemps, le Wiels sera axé sur le langage du corps avec l’expo-danse d’Anne Teresa De Keersmaeker qui débute mi-mars et déjà, aujourd’hui, avec "Body Talk". Ceux qui pensent que l’art contemporain serait trop conceptuel et désincarné en seront pour leurs préjugés.
Pour monter, "Body Talk", Koyo Kouoh, directrice du centre d’art contemporain de Dakar, le "Raw Material Company", a fait le choix de six femmes africaines évoquant les questions du féminisme, du corps et de la sexualité de la femme noire. Car, dit-elle, les questions portées par les féministes depuis 30 ans sont loin d’avoir tout réglé, surtout pour les Africaines : "Nous devons continuer à nous battre pour notre identité, autour de la question du genre". Et elle ajoute, "le corps de la femme noire reste une zone de négociation, de transaction, d’appropriation, un site de projection et de contrôle". Dans l’inconscient collectif blanc, resteraient encore tant de préjugés basés sur la célèbre Sarah Baartman, le "Vénus Hottentote", montrée jadis comme objet de foire.
"Le corps de la femme noire"
Les six artistes posent cette question du combat féministe en Afrique, se disant déçues par le féminisme blanc radical "qui ignorait la réalité des femmes noires".
On retrouve la force de frappe de Tracey Rose (révélation d’une récente Biennale de Lyon), la Sud-Africaine qui estime que la fin de l’apartheid n’a rien réglé. Elle imagine des performances hautement politiques, se promenant nue au mur israélo-palestinien. Pour cette expo, elle a sillonné Bruxelles à pied, armée d’un porte-voix, criant "Patrice Lumumba", s’en prenant à la figure de Léopold II, le visage peint en rouge (la couleur du diable, dit-elle). Elle tirait dans nos rues, un curieux totem en bois brûlé, "le corps de la femme noire", et appelé "Die wit man", qu’on peut lire en flamand "Cet homme blanc" ou en anglais "Meurs, homme blanc".
La cage aux préjugés
L’Ivoirienne Valérie Oka, au Wiels, veut démonter l’idée fantasmée de la sexualité "forte voire bestiale" des Africaines. Elle a conçu un néon au mur : "Tu crois vraiment que parce que je suis noire je baise mieux ?" Vendredi soir, elle devait inviter douze convives à un repas performance filmé dans la salle du Wiels pour échanger sur ces préjugés, souvent datant encore des colonies, sur les femmes africaines. Elle-même dans une autre performance marche nue dans une grande cage, avec pour seuls objets un pénis énorme et un drap rouge. Et elle s’offre aux regards troublés des visiteurs, avec ce message : elle s’est enfermée dans la cage aux préjugés mais la porte est ouverte, on peut en sortir.
Les femmes, un autre continent
Ce féminisme noir, percutant, passe aussi par les portraits en feutre et bois de la Nigériane Marcia Kure, les belles broderies de Billie Zangewa venue du Malawi, les collages réinterprétant les nus blancs de la peinture classique, de l’Algérienne Zoulikha Bouabdellah et l’installation mêlant les mondes de Miriam Syowia Kyambi, du Kenya.
Une manière de voir comment l’art dépasse notre continent avec une force intacte, vu en plus par les femmes, qui restent encore trop souvent un autre continent.
Body Talk, féminisme, sexualité et corps dans l’œuvre de six artistes africaines, Wiels jusqu’au 3 mai