Fabre, l’art de la performance
Passionnante rétrospective de toutes les performances et actions de Jan Fabre, au MuHKA, à Anvers.
Publié le 27-04-2015 à 18h51 - Mis à jour le 27-04-2015 à 20h06
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Il est rare de pouvoir pénétrer vraiment dans le processus créatif d’un artiste et encore davantage dans celui foisonnant, plein d’idées, de fantasmes et d’images visuelles de Jan Fabre. Alors qu’il expose à Namur, voilà que s’ouvre en parallèle, au musée d’Art contemporain d’Anvers (MuHKA), une passionnante rétrospective qui nous permet d’entrer littéralement dans son univers, sa tête, ses tripes, son corps, à travers 40 ans "d’actions et performances", une forme d’art éphémère dans laquelle il a toujours excellé, à mi-chemin entre la scène et les arts plastiques. Un art qui met en jeu le corps même de l’artiste. C’est une reprise de l’expo qui fut créée à Rome, au MAXXI, sous le commissariat du mythique critique Germano Celant.
Près de cent performances réalisées
La "performance", la présence dans l’art du corps poussé à ses limites, est inhérente à tout le parcours de Fabre. Dès son adolescence, il en fit sa marque, remplaçant la nuit la plaque de rue de son quartier par une plaque "Jan Fabre Straat" (ses parents durent payer une amende), apposant sur la façade de la maison de ses parents, une plaque "Ici habita Jan Fabre", identique à la plaque qu’on trouve devant la maison où habita Van Gogh. Il installait dans son jardin familial une tente où il pratiquait des expériences artistiques sur des insectes.
Dès le début de sa carrière d’artiste, il s’enferma dans une vitrine, le corps nu recouvert d’escargots qui lui rampaient sur la peau. Enfant, il aimait déjà se jeter devant des bus d’Anvers pour voir l’effet. Il s’enferma dans les années 70 dans une pièce pour la redessiner entièrement au stylo-bille bleu, inventant le "Bic art".
La performance fait partie de l’univers complet de Fabre. Il en a réalisé près de cent. On se souvient des plus célèbres quand recouvert d’une lourde armure qui le rendait aveugle, il dessinait et écrivait devant le public pendant des heures, avec son sang, sortant hagard et groggy. Ou quand, au Palais de Tokyo, enfermé dans une cage de verre, recouvert d’une armure face à Marina Abramovic semblablement harnachée, ils se battaient douloureusement, sortant de la cage les membres déchirés par des coupures.
A la recherche des limites de l’art
Dans une de ses premières performances, il était totalement recouvert d’un habit de pointes de punaises sauf le bas des jambes qu’il frottait au papier de verre jusqu’au sang. Jan Fabre a toujours pratiqué la performance jusqu’aux limites physiques de son corps : comme enfiler un sac sur sa tête jusqu’à l’évanouissement. Plusieurs performances ont concerné l’argent : il demandait aux passants un billet qu’il découpait, expliquant que c’était un geste d’art revalorisant l’argent. Il porta aussi un costume couvert de billets. Au Louvre, il joua le rôle de Mesrine, expliquant que "c’est l’art qui l’empêcha de devenir délinquant" .
Jan Fabre développe la performance dans son univers baroque avec une grande cohérence : les insectes, les dessins avec son sang, les poses de La Pietà ou du Saint-Georges renvoyant à la fois à l’art flamand médiéval et à celui de Fabre. Il se balada un jour avec un costume de viande fraîche, couvert de papillons vivants.
Que ce soient dans ses dessins, ses sculptures, ses mises en scène et, ici, ses performances, c’est chaque fois le même univers qui est décliné. Fabre cherche les limites de l’art, il côtoie ces rivages de la peine et du plaisir, où spectateurs et artistes participent ensemble à une expérience.
Sacrifices religieux
A Germano Celant, l’artiste expliquait que la performance était pour lui un combat contre la société et contre lui-même. Une idée de combat apprise au contact de la rue, dans une expérience difficile de coma, et en se confrontant aux peintures religieuses anciennes de stigmates et de flagellations. Quand il se coupe la peau avec des lames de rasoir, écrit avec son sang, va aux limites, c’est un sacrifice au sens religieux que Fabre fait pour l’art.
D’autres performances lui permettent de disserter sur l’art et le monde, avec les plus grands : avec Ilya Kabakov sur le toit d’un building, déguisés en insectes (chacun parle sa langue mais ils se comprennent par la langue commune de l’art) ou avec le philosophe Peter Sloterdijk, en poussant ensemble une gigantesque crotte comme les insectes bousiers.
On retrouve à l’exposition les traces de tout cela avec 109 tables (des vitres posées sur des tréteaux, les mêmes que celles que Fabre utilise dans son atelier) couvertes de dessins, de petites sculptures, de "boîtes à pensée", mais aussi de grands dessins, de vidéos formidables de ses performances (une trentaine de films), et ses costumes.
Un voyage presque intime dans l’univers d’un grand artiste avec un catalogue XXL racontant ce parcours. On est frappé de l’audace que des artistes comme Fabre avaient dans les années 80, une radicalité qu’on ne retrouve plus guère aujourd’hui dans le monde de l’art et qui garde toute sa force. Guy Duplat
Jan Fabre, Stigmata, Actions and performances, 1976-2013, au MuHKA, à Anvers, jusqu’au 26 juillet. Infos : 03.242.93.57, www.muhka.be