Triennale: Plonger et rêver à Bruges
La Triennale de Bruges offre de nouveaux regards sur la ville et son avenir.
Publié le 26-05-2015 à 16h47 - Mis à jour le 26-05-2015 à 18h42
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Bruges n’est qu’une petite ville de 117 000 habitants. Que se passerait-il si les 5,3 millions de touristes qui la visitent chaque année décidaient d’y rester ? Comment concilier une ville-musée avec l’émergence partout dans le monde de mégapoles ?
C’est le point de départ de cette Triennale d’art contemporain et d’architecture qui reprend le flambeau des Triennales des Beaux-arts qui y furent organisés dans les années 60 et 70. Trois lieux d’expositions et une vingtaine d’interventions dans la ville forment des parcours que les visiteurs peuvent arpenter avec, à la main, un plan et un guide très complet (en français !).
Interpeller
Comme toujours dans ces cas-là, la visite demande du temps et d’aimer marcher. Elle permet de découvrir autrement Bruges, une ville apparemment (mal) connue.
Il n’est pas facile pour l’art contemporain de s’immiscer dans un décor aussi extraordinaire. Il ne doit jamais chercher à faire concurrence mais plutôt à interpeller, à jouer dans les interstices. On se souvient du triste sort fait au pavillon contemporain de Toyo Ito, finalement "chassé" de la ville.
Plusieurs artistes réussissent parfaitement ce "mélange", comme le Chinois Song Dong, qui a installé devant la cathédrale du Saint-Sauveur comme un jardin de pierres taoïste mais les éléments en sont des châssis de vieilles fenêtres colorés et assemblés, venus de bâtiments anciens chinois détruits par une urbanisation galopante. Une sculpture-jardin que l’artiste intitule de manière ambiguë : "Ne rien faire".
Cabanes dans les arbres
L’œuvre la plus poétique est certainement celle du Japonais Tadashi Kawamata qui occupe le magnifique jardin ombragé du Béguinage. Comme à son habitude, il y a placé ses cabanes bricolées en planches mais les a construites tout en haut des arbres, pour en faire des oasis imaginaires pour fuir la foule de Bruges particulièrement envahissante en été.
Les canaux ne sont pas en reste. Un couple d’artistes anglais et danois, "Hehe", a construit un pylône à haute tension cassé par une tempête et tombé dans l’eau d’un canal. Des éclairs et des grésillements tentent de leur donner une réalité étrange, comme la modernité cassée de la ville.
Dans la ballade à travers Bruges, on peut se reposer de l’affluence sur le pont-banc du studio Mumbai (Inde), posé non pas sur un canal mais à côté, dans l’attente d’un hypothétique placement. On peut s’y asseoir et depuis là, contempler la ville. On peut même plonger dans les canaux depuis le "Canal Swimmer’s Club" du bureau d’architecture japonais Bow-Wow. Il fut frappé que les canaux jadis si pollués sont redevenus propres et "baignables". Ils ont construit un ponton, un "espace lounge flottant" où on peut se détendre, piquer une tête dans l’eau, assister à des conférences.
On laissera à chacun, en fonction de son temps libre et de son ardeur à la marche, le soin de découvrir les autres œuvres.
Villes détruites
Trois petites expositions s’y ajoutent. A l’hôtel de ville, il ne faut pas manquer les villes imaginaires, végétales de Luc Schuiten, mais surtout celles du Congolais Bodys Isek Kingelez. Ce grand artiste qui vient malheureusement de mourir il y a un mois, à 67 ans, rêvait dans sa parcelle de Kinshasa à des villes possibles pleines d’enseignes, de commerces et de fantaisies. Il disait pratiquer une "architecture maquettique".
A la Arentshuis, la proposition est plus théorique avec les plans années 30 de l’urbaniste et architecte moderniste Huib Hoste pour faire un Bruges nouveau rasant les quartiers les plus moches pour construire de grands boulevards. Des plans jamais réalisés.
Un peu excentré, à la Smedenpoort de la ville (à De Bond), il ne faut pas rater la petite exposition sur les villes rasées par les guerres. La destruction du patrimoine est toujours possible comme le démontrent si tristement l’Irak et aujourd’hui, Palmyre. Bruges subira-t-elle un jour de tels outrages ? Photos de destructions à Beyrouth, photos de carnages urbains pour cause de grands hôtels à la Mecque autour de la Kaaba, film magnifique de l’Afghane Lida Abdul, avec des hommes tirant sur des cordes pour abattre les derniers murs debouts.
On y retrouve une série frappante de photos prises dans le métro de Tokyo avec des voyageurs écrasés derrière les vitres et un film plein de poésie du Chinois Yang Yongliang, créant à la manière ancienne des paysages où des cascades circulent entre des villes superposées.Guy Duplat
Triennale d’art contemporain et d’architecture, Bruges, jusqu’au 18 octobre, accès gratuit. Infos et plans à la gare et au Concertgebouw (in&uit). www.triennalebrugge.be