1250-1320, ces années où le monde changea
L’exposition d’été au Louvre-Lens s’intéresse à la Pré-Renaissance, quand l’art, comme le monde, changea radicalement. Elle s’intéresse aux échanges entre les villes toscanes et Paris. En parallèle, on a inauguré les splendides vitraux restaurés de la Sainte-Chapelle à Paris.
Publié le 28-05-2015 à 09h00 - Mis à jour le 28-05-2015 à 09h01
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Il faut se plonger dans un temps méconnu, loin d’un Moyen Age qui serait obscur, mais avant la flamboyante Renaissance. L’époque choisie pour la nouvelle exposition du Louvre-Lens, 1250-1320, est la charnière entre le gothique devenu flamboyant et la Renaissance qui s’annonce. On est plus d’un siècle avant Jan Van Eyck ou les Pleurants de Dijon, Cimabue annonce alors la Renaissance, comme son élève Giotto.
Ces 70 années sont un pivot dans l’histoire européenne. Paris, en plein chantier, est la plus grande ville européenne avec 200 000 habitants. Louis IX a fait construire la Sainte-Chapelle pour abriter la couronne du Christ (lire ci-contre). La ville est devenue la capitale européenne de la mode et de la science avec son université. On vient y admirer, à Notre-Dame, la sculpture "sensationnelle" de Jean de Chelles, une Vierge à l’enfant qui casse le hiératisme habituel : on voit ses cheveux sous le voile, elle porte un grand fermoir et une robe au drapé simple et si élégant.
La monnaie unique, la banque et l’évasion fiscale
Au-delà des Alpes, les villes toscanes, en concurrence vive, après la mort de l’empereur Frédéric II, créent de nouvelles formes politiques et voient émerger des artistes nouveaux inspirés par l’Antiquité.
Pise est alors le plus grand port d’Europe. Florence en est la capitale économique qui crée en 1252 le florin, qui sera la "monnaie unique" européenne. Sienne invente la banque, le dumping fiscal et l’évasion fiscale, devenant le refuge de tous les placements. Avec la banque et le florin, on pouvait placer son argent à Sienne et le retirer à Bruges. Les marchands toscans en profitent pour diffuser l’art contemporain.
La "star architecte"
L’exposition montre les influences réciproques dans cette révolution de la Pré-Renaissance. Elle est certes pointue, loin du bling bling, mais elle est très pédagogique et comprend quelques pièces sublimes rarement rassemblées, venues des plus grands musées : sculptures monumentales en bois et pierre, orfèvreries, émaux, ivoire exquis, manuscrits, quelques peintures.
A Paris, on inventait le gothique rayonnant, arachnéen, léger. Le sculpteur-architecte (c’était alors la même chose) Pierre de Montreuil était la "star". Il construisait la chapelle de la vierge de Saint-Germain des Prés aujourd’hui disparue. L’expo en montre une étonnante Vierge à l’enfant récemment découverte dans le sol : une sculpture qui fut abandonnée car elle cassa sous le ciseau du sculpteur, mais elle garde, comme une esquisse, le mouvement et la tendresse.
Plus loin, on découvre le bel ensemble monumental, encore moyenâgeux, du Christ de la Déposition de la cathédrale de Prato. A Pise, Sienne et Florence, il faudra le génie du Napolitain Nicola Pisano et de son fils Giovanni pour casser le byzantinisme et produire des drapés et des postures neuves, plus humaines et réalistes, inspirées de l’Antiquité et du gothique flamboyant parisien.
L’ivoire
Bien sûr, on n’a pas pu amener à Lens les célèbres chaires à prêcher des Pisano, du baptistère de Pise et des cathédrales de Sienne et Pise, mais on peut y admirer tout leur talent. Avec, par exemple, un bouleversant Christ en croix, en ivoire, les yeux clos, de Giovanni Pisano. Il renvoie à une autre splendeur : le groupe en ivoire de la Descente de Croix du Louvre. Joseph d’Arimathie porte sur son dos le Christ mort, la Vierge tient la main de Jésus, Saint-Jean pleure. L’humanité et la beauté de ces figures sont époustouflantes. Regardez comment les mains de Joseph sont couvertes par le linceul de Jésus.
Brusquement, l’art se fait réaliste, humain, ayant compris les leçons de l’Antiquité tout en continuant à s’inspirer du gothique. Les artistes alors voyageaient peu, trop occupés par leurs commandes, mais les petites œuvres (ivoires, orfèvrerie) diffusaient l’art nouveau.
Nivelles et la châsse de Sainte-Gertrude
L’expo à Lens montre ce travail de l’ivoire, de l’or, de l’argent et des émaux, comme les "émaux de plique", opaques et transparents, comme des fleurs. Une des plus belles pièces d’argenterie est la châsse de Sainte-Gertrude venue de la collégiale de Nivelles. Une pièce magnifique dont il ne reste, hélas, que des fragments (à l’expo) suite au bombardement de la collégiale par les Allemands en 1940.
Il faut encore voir les si souriants "anges de Saudemont". Quelques très beaux manuscrits sont exposés dont "La somme le Roi" du plus grand enlumineur de l’époque, Maître Honoré. Les peintres d’enluminures étaient souvent à l’avance sur leur temps, les artistes s’y sentant plus libres.
On découvre ainsi comment des artistes ont pu changer le goût de toute l’Europe pour faire advenir quelques décennies plus tard la Renaissance où nous sommes toujours. Le point de contact entre artistes français et toscans se fera ensuite à Avignon où les papes trouvèrent refuge à partir de 1309.
La Sainte-Chapelle retrouve sa splendeur
Depuis le 20 mai, la Sainte-Chapelle, sur l’île de la Cité à Paris, a retrouvé la splendeur de ses vitraux, après six années de restauration et un coût de 9,5 millions d’euros. La Sainte-Chapelle fut construite entre 1242 et 1249 par Saint-Louis au moment où Paris était la capitale des arts (lire ci-contre). La chapelle devait servir d’écrin, être une châsse monumentale pour abriter la Couronne d’épines du Christ et des morceaux de la Croix, acquis par Saint Louis en 1239. Baudouin VI de Hainaut avait volé la Couronne lors du sac de Constantinople et un de ses successeurs l’avait gagée auprès d’un marchand vénitien pour la somme astronomique de 135 000 livres (alors que la construction de la Sainte-Chapelle ne coûta que 40 000 livres).
Qu’à cela ne tienne, le futur Saint Louis acheta la Couronne d’épines à ce prix pour en faire le signe du prestige nouveau de Paris.
L’éclat des couleurs d’origine
La Sainte-Chapelle dans sa partie haute n’est qu’un ensemble vertigineux de vitraux magnifiques, soutenus par une architecture si fine qu’on ne la voit quasi pas. Ils forment un ensemble unique de 1113 scènes figurées. Si la Sainte-Chapelle et une partie des vitraux furent refaits au XIXe siècle, 60 % des vitraux datent du XIIIe siècle.
Le travail de restauration a porté sur sept verrières sur le flanc nord (baies de Saint Jean l’Evangéliste et de l’Enfance du Christ, d’Isaïe et de l’Arbre de Jessé, du livre des Juges, du livre de Josué et du livre des Nombres, de l’Exode et de la Genèse). Il a permis de retrouver l’éclat des couleurs d’origine et de rendre aux vitraux leur lisibilité et leur luminosité originelles.
D’or et d’ivoire, Paris, Pise, Florence, Sienne, 1250-1320, au Louvre-Lens, jusqu’au 28 septembre, fermé le mardi.