Street art, un hors-la-loi dans les galeries d’art
L’art urbain - ou art de la rue - est qualifié de vandalisme dans de nombreuses communes où il est effacé et fait l’objet de sanctions financières. Mais les temps changent. Certaines entités et villes s’organisent pour lui accorder une place à part entière.
Publié le 29-05-2015 à 13h41 - Mis à jour le 29-05-2015 à 13h42
L’année dernière, ce sont plus de 11 983 tags qui ont été retirés par les services propreté des différentes communes bruxelloises. La Ville de Bruxelles, Uccle et Saint-Gilles ont été les plus virulentes dans la lutte antigraffiti.
Il est vrai que les tags ont depuis toujours été considérés comme de véritables plaies dans le paysage urbain des villes. Depuis avril 2005, les tagueurs peuvent être punis au moyen d’une sanction administrative communale de 150 à 550 €, en fonction des entités communales. Pourtant très peu se font prendre en flagrant délit. La plupart agissent de nuit, à l’abri des regards.
Ces communes qui préfèrent nettoyer
La Ville de Bruxelles a consacré une cellule entière de son service propreté à l’éradication des tags. La cellule antitag peut être appelée par les particuliers ou par la police pour effacer gratuitement les tags sur les façades des habitants, des bâtiments de la ville ou des écoles.
L’échevine de la Propreté publique et de la Culture, Karine Lalieux (PS), a également instauré un système de partenariat avec les commerçants du centre-ville, victimes de ce phénomène : la brigade "Michel-Ange". "Quatre ouvriers passent tous les jours dans trois quartiers du centre et repeignent gratuitement les façades des commerçants si celles-ci ont été taguées", explique-t-elle en ajoutant que "chaque année, 200 000 € [sont consacrés] à la lutte contre ce type de vandalisme".
La commune d’Uccle est également très active dans ce domaine. En 2014, son service propreté a nettoyé plus de 1 740 tags, contre 351 l’année précédente. Pour Jonathan Biermann (MR), échevin des Travaux publics, cette augmentation n’a rien d’étonnant : "Nous avons effacé plus de tags en 2014 car nous avons décidé de mener des actions coup-de-poing à travers la commune. Nos deux équipes ont été renforcées pour effacer les tags avec le matériel nécessaire. Nous y avons mis des moyens importants, mais, parfois, cela ne suffit pas. J’ai appris aujourd’hui que la Ferme rose, que nous restaurons pour le moment, a été taguée à quatre endroits."
Les communes de Belgique, bien qu’elles mènent une politique répressive envers les tags et graffitis dégradants, ne sont cependant pas entièrement fermées à la thématique même de l’art urbain. L’échevin d’Uccle tient d’ailleurs à faire remarquer que sa commune travaille volontiers avec des artistes pour la réalisation de fresques de qualité (voir lexique). Le tag reste donc pour beaucoup le vilain petit canard du street art, mais les fresques travaillées gagnent leurs lettres de noblesse.
Vers une reconnaissance
Pour faire oublier les tags et graffitis aux habitants, les autorités de la Ville de Liège ont, elles, mis en place un projet particulier. En 2002, la Cité ardente s’est associée au collectif Spray Can Arts pour créer Paliss’art. Le but de cette démarche est de s’associer aux artistes, de les rémunérer, et de leur proposer des façades publiques ou privées pour qu’ils y réalisent de gigantesques fresques colorées en toute légalité.
La qualité des réalisations est différente de celle des tags et graffitis. Ici, les auteurs sont considérés comme des artistes, ou plus précisément des street-artistes. En treize ans, ce sont déjà plus de soixante œuvres qui ont pu être réalisées.
Une grande avancée
Ce projet sert avant tout de rempart aux graffitis dits "nuisibles" qui envahissent la ville. C’est ce qu’explique Michel Firket (CDH), échevin des Finances, de la Mobilité, du Tourisme et du Patrimoine de la Ville de Liège et responsable du projet : "Nous avons eu l’idée de ce projet il y a maintenant vingt ans. Le but était de tisser des liens avec les jeunes graffeurs qui détérioraient le paysage urbain avec leurs tags. Nous nous sommes associés à eux pour faire un pacte à l’amiable et donner un coup de peps à la ville."
Même si le programme ne règle pas tous les problèmes de détérioration, l’échevin considère cette décision comme une grande avancée pour le monde de l’art urbain : "Il est vrai que les tags sont toujour s présents à Liège, mais je pense que si nous n’étions pas intervenus, ce serait le chaos total."
A l’encontre des principes du street art
Pour participer aux projets réalisés dans ce type de partenariat "public-privé", les artistes doivent s’inscrire en remplissant un dossier. Ils sont généralement libres de réaliser ce qu’ils veulent, mais une idée de projet doit tout de même être approuvée par la Ville avant le début de la réalisation.
La question de la nature même du street art se pose avec ces créations contrôlées et approuvées. En effet, cela va à l’encontre des principes et des racines du street art qui voudraient que cette discipline reste hors-la-loi, à l’abri des regards. Comme le fait d’ailleurs le street-artiste internationalement connu Banksy, qui refuse toujours de révéler son identité et qui opère de nuit, muni de ses pochoirs et bombes aérosols.
"Paliss’art nous permet de maintenir une certaine qualité et de redonner de la couleur aux façades défraîchies", explique l’échevin. Maintenir la qualité des œuvres, en effet, puisque le développement de ces fresques travaillées sur les façades des bâtiments force le respect des autres street-artistes ou tagueurs. Un des principes du street art voudrait que les autres artistes ne viennent pas "polluer" l’œuvre par leurs réalisations. Les fresques mettront-elles un jour un frein aux tags dévastateurs ?
Lisbonne, un exemple à suivre
La capitale portugaise a quant à elle totalement intégré l’art urbain au sein de sa politique communale. Elle a emboîté le pas aux projets artistiques en développant un service de la municipalité entièrement dédié au street art et à son encadrement. Il s’agit de la Galeria de Arte Urbana (GAU). La plateforme a été créée dans les années 80 pour redorer l’image de certains quartiers du centre-ville. Aujourd’hui, la GAU travaille en collaboration avec des artistes du monde entier et leur propose des murs publics ou privés sur lesquels ils peuvent s’exprimer.
La ville est d’ailleurs reconnue internationalement pour ses fresques, qui recouvrent parfois des immeubles entiers. Ce type de projet a permis à Lisbonne de se faire un nom dans le monde de l’art urbain. Elle fait d’ailleurs partie des capitales mondiales du street art, au même titre que Londres ou Berlin.
Tout au long de l’année, les touristes peuvent redécouvrir les façades de la ville, autrefois défraîchies suite à la crise immobilière que subit le pays depuis plusieurs décennies. L’occasion pour le pays de revoir à la hausse ses chiffres sur le tourisme. De nombreuses visites guidées ont été créées pour faire découvrir cet aspect de la ville aux touristes.
Lisbonne représente le parfait exemple de l’acceptation de la culture underground par les autorités. Selon Adrien Grimmeau, historien de l’art et auteur du livre "Dehors !", sur la place du graffiti à Bruxelles, la première démarche à effectuer vers l’acceptation est de changer le regard des gens envers cette forme d’art controversée. "Si le graffiti n’était plus considéré comme une nuisance, on apprendrait à vivre avec, sans le traquer sans cesse", confie-t-il.
Lexique du street art pour ne pas s’emmêler les pinceaux
Tag : pseudonyme rapidement calligraphié n’ayant d’intérêt que pour la personne qui l’exécute.
Graffiti : peinture murale, réalisée au moyen de peinture en bombe aérosol, représentant généralement un personnage.
Fresque : Les fresques associent écriture, couleurs, personnages et paysages pour décrire une scène ou raconter une histoire. Peindre une fresque demande du temps, de l’espace et beaucoup de talent.
Pochoir : Support réutilisable, tel qu’une plaque de polystyrène ou de carton, que l’on fixe sur la surface à peindre et dont on remplit de peinture les zones évidées, lesquelles représentent un motif ou une figure.
Source : streetart.grum.fr