Pascale Marthine Tayou réfléchit le monde
Foisonnante, ludique et politique exposition d’été au palais des Beaux-Arts.
Publié le 24-06-2015 à 17h08 - Mis à jour le 25-06-2015 à 17h08
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Dès l’entrée de Bozar à Bruxelles, le ton est donné avec "Africonda", énorme serpent de tissus colorés, lové sur lui-même, avec ses piques de bois et ses masques. Sculpture joyeuse, très africaine et mystérieuse. Elle représente le monde et nous regarde : que faisons-nous de cette Terre ? Quels actes y faisons-nous qui nous reviendront dans la figure comme un "Boomerang" (le titre de cette exposition d’été de Pascale Marthine Tayou, lire la rencontre avec l’artiste dans "La Libre" du 15 juin dernier).
Ludique et profondément politique
Né au Cameroun, habitant Gand, il marque de son univers tout Bozar : les couloirs, le hall Horta envahi de grandes statues de bois, pour continuer par l’exposition proprement dite qui débute comme si nous étions plongés dans une rue de Yaoundé.
Grande photo au mur, partout des fétiches de cristal, couverts de matières diverses (les "Poupées Pascale"), des colonnes sans fin (à la manière de Brancusi) des plats ou de feuilles d’arbres colorées. Des murs, tombent des branches portant comme feuilles des sacs de plastique coloré (je suis un "plasticien", dit-il en riant).
Bienvenue dans l’univers de Pascale Marthine Tayou. Ludique, chaleureux, mais sous ces apparences, profondément politique : "Je produis des histoires qui sont liées à nos peurs et à nos plaisirs. Dire que je suis un artiste réduit mon champ d’action. Je ne fais pas de l’art pour être un artiste mais parce que je pense à ce qu’est le monde, je me demande qui nous sommes, qu’est-ce qu’on fait et quelles sont les conséquences de nos actions sur l’humanité."
Profondément convaincu que tous les hommes forment une même humanité reliée par les mêmes rituels, il voit son métier comme celui d’un créateur de formes qui viennent "titiller notre réflexion, ouvrir nos papilles visuelles" (et même olfactives puisque certaines œuvres sont en chocolat). "J’espère que les points de vue que je donne deviendront sujets de conversation."
Nuage de coton
Il ne faut donc jamais enfermer ses œuvres dans un message trop explicite. "Octopus", pieuvre faite de câbles et pistolets de pompes à essence, renvoie à l’épuisement de nos ressources naturelles. Les tas de pavés colorés évoquent un passé révolu ou un réenchantement possible. "Coton tige", immense nuage de coton flottant au-dessus d’une salle, évoque l’exploitation du coton en Afrique qui a ruiné bien des pays. "Our traditions" est un autre plafond fait de branches, de fétiches et de masques.
Sur le mur, court un "pipeline", parfois fait de bouteilles en plastique. Du plafond encore, tombent deux maisons à l’envers, avec leurs objets et fétiches, comme notre monde qui est sens dessus dessous, renversant nos dogmes, nos joies, nos frustrations.
De grands tableaux sont faits de chocolat, de craies colorées ou de petits blocs de charbon évoquant le pillage des matières premières.
Tayou est un sorcier qui vient piquer avec ses épingles et ses mikados géants nos images postcoloniales, nos certitudes et nos aberrations en un grand jeu coloré et dépaysant.Guy Duplat
Pascale Marthine Tayou, "Boomerang", à Bozar, Bruxelles, jusqu’au 20 septembre.