Charleroi sera blanc un jour
Le Musée de la Photographie de Charleroi présente le résultat de la mission sur la ville confiée à Stefan Vanfleteren. Noir, c'est noir, mais il y a de l'espoir.
Publié le 28-06-2015 à 16h53 - Mis à jour le 29-06-2015 à 18h28
:focal(465x240:475x230)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/E3JJS4EOTFGTDKC5P3JVQQQNFA.jpg)
La plus grande difficulté pour les photographes n’est pas de faire de bonnes images, mais bien d’éviter les clichés. Le meilleur allié pour échapper à cet écueil, c’est la confrontation au réel. Voir et surtout cadrer sur place, c’est s’empêcher d’aller vers les stéréotypes du temps. C’est également prendre conscience de la complexité du monde et de l’infinité de manières de le dire. L’affaire récente du "reportage" sur Charleroi récompensé momentanément par le World Press est venue nous le rappeler a contrario. Le problème en effet n’était pas la vision défavorable de Giovanni Troilo, mais bien la mise en scène de ses images qui témoignait d’une vision a priori. En l’occurrence, une resucée exagérée et grand-guignolesque du lieu commun de la "ville noire".
Sans préjugés
Il faut aller voir l’exposition de Stefan Vanfleteren au Musée de Charleroi pour mesurer la différence, voire l’abîme entre son travail investi, engagé sur la cité carolorégienne et l’illustration peu intelligente de l’éphémère lauréat du World Press. Pour cette mission qui a lui été confiée par le Musée, le Flamand a arpenté la ville tout un hiver, il a rencontré une foule de gens, toutes sortes de gens. Il n’a pas essayé de faire la démonstration d’une thèse. Il a tout simplement rendu compte de ce qu’il a vécu sans préjugés.
Les photographies qui amorcent son exposition (et le livre publié pour l’occasion) disent clairement cette ouverture d’esprit puisqu’il s’agit de larges panoramas de la ville. Ces images nocturnes des toitures enneigées ou ces contre-jours spectaculaires des industries sont magnifiques. Ils ne laissent pas présumer du contenu, mais dénotent son attitude, son empathie pour ce et ceux qu’il va rencontrer. Manifestement, à la question "est-ce beau ou laid ?", lui préfère l’affirmation "même quand c’est laid, c’est beau". Pour comprendre cela, il faut par exemple se rappeler que dans notre culture, avant le XIXe siècle, la montagne était considérée comme un lieu inconnu, dangereux, bref un lieu d’horreur. Ainsi, le mont Blanc s’est-il appelé longtemps la Montagne maudite. Il aura fallu que les Romantiques en parlent avec exaltation, s’enthousiasment du spectacle qu’elle offre pour que l’on commence à la voir comme un lieu (du) sublime.
Bienvenu
Il se fait que Stephan Vanfleteren est à sa manière un romantique qui parvient à s’émerveiller de ce que l’on voit du haut des terrils. Il ne serait d’ailleurs pas étonnant qu’à sa suite, on commence à apprécier Charleroi pour ce qu’elle est plutôt que pour ce qu’elle n’est pas ou ce qu’elle devrait être. Lui en tout cas y aime le sens de l’accueil, toujours chaleureux : "…Parfois, il semble que plus l’homme est dans la merde, plus il en émane de chaleur. Jamais au grand jamais, il ne m’est arrivé de ne pas me sentir le bienvenu chez les Carolos ." Comme c’était déjà le cas dans son célèbre ouvrage "Belgicum", il ne s’agit nullement pour lui de nier la réalité, mais bien d’y porter une attention bienveillante. Ce brouillard qui colle aux rues l’hiver, il en fait des gris somptueux. Les no man’s land de la friche industrielle, il en fait des ruines allégoriques à la Friedrich. Les gens qui passent comme des ombres dans le décor décati, il finit par les approcher. Et quand il est au plus près, si près que l’on distingue les pores de la peau, toutes ces préventions inspirées par les clichés s’estompent. La crainte - du jeune, du vieux, du pauvre - laisse la place à la sympathie. D’autant que le photographe précise : "Je n’ai jamais été traité avec agressivité lorsque je traînais dans les rues avec mon appareil photo, même pas dans les rues fréquentées par les junkies et les prostituées."
L’intitulé de ce travail - "Charleroi. Il est clair que le gris est noir" - annonce des photographies sombres certes, mais un peu comme sur les éclats de charbon, avec de splendides brillances. Chacune de ses images fait la démonstration que la beauté est dans l’œil de celui qui regarde. Et l’œil de Vanfleteren est généreux, plein de tendresse également, sans tiédeur en tout cas. On pourrait y voir une forme d’expressionnisme, si lui n’était pas foncièrement optimiste. La seconde partie de l’intitulé de cette mission inscrite au dos du livre, juste au-dessus de son nom, précise en effet : "Mais Charleroi sera blanc, un jour". Jean-Marc Bodson
Mont-sur-Marchienne, Musée de la Photographie à Charleroi. 11, avenue Paul Pastur (GPS Place des Essarts). Jusqu’au 6/12, du mardi au dimanche, de 10h à 18h. www.museephoto.be
Miser sur les artistes
Stephan Vanfleteren est un homme d’image talentueux, mais quand il prend la parole, il ne l’est pas moins. Les propos qu’il tient avec une verve à la Brel et une gouaille à la Arno sont à la fois tendres et lucides : "J’aime Charleroi. Je l’embrasse sur la bouche malgré son haleine puante. Je comprends parfois la frustration de son actuel bourgmestre. Charleroi a un problème. Son bourgmestre qualifie chaque attaque de manque de respect. Il s’en prend parfois rudement aux visiteurs journalistes, photographes et touristes avides de catastrophe. Quand il parle de la haine de classe lorsqu’un Flamand ou un étranger critique la ville et ses habitants, cela me hérisse. Je le comprends un peu, mais tout de même, il y a une réalité qu’on est bien obligé de voir…" Vanfleteren la montre, cette réalité, sans fard, et c’est précisément ce qui permet de remarquer ces lueurs d’espoir qu’il souligne dans son avant-propos : "… et puis il y a Rockerill. Deux jeunes hommes ont acheté à la Providence un bâtiment industriel pour une bouchée de pain, ils y ont installé des ateliers d’artistes et ils y donnent de temps en temps des performances et des parties. J’ai eu l’occasion d’assister à l’une d’elles. J’y ai senti l’esprit du Velvet Underground de New York de naguère, mais ‘à la carolo’. ‘ Alors on danse !’, je ne peux pas mieux le définir. […] Si j’étais un artiste débutant, je n’hésiterais pas. Je sauterais dans le train pour Charleroi, sur les voies du Grand Central belge. Il y a un tel choix d’ateliers magnifiques dans la ville éteinte. […] L’avant-garde est déjà là, devant les portes rouillées. Miser sur les artistes, voilà ce que le bourgmestre doit faire…"
La mission réussie du photographe, commissionné par le Musée en est la parfaite démonstration.