L’incroyable œuvre d’Henry Darger
L’histoire d’Henry Darger est romantique à souhait : une vie misérable passée dans le secret et l’anonymat, et puis la découverte et la reconnaissance posthume d’une œuvre d’une ampleur immense, bâtie dans le plus grand secret. On y retrouve l’image de l’artiste maudit que le public aime chez Van Gogh.
- Publié le 24-07-2015 à 20h02
- Mis à jour le 24-07-2015 à 20h16
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L’histoire d’Henry Darger (1892-1973) est romantique à souhait : une vie misérable passée dans le secret et l’anonymat, et puis la découverte et la reconnaissance posthume d’une œuvre d’une ampleur immense, bâtie dans le plus grand secret. On y retrouve l’image de l’artiste maudit que le public aime chez Van Gogh.
Devenu un des grands noms de l’art brut, Henry Darger défie les classifications. Car ses peintures se retrouvent dans les grands musées, il a maintenant une expo au musée d’Art moderne de la ville de Paris, et il a influencé de nombreux artistes contemporains comme les frères Chapman et Paul Chan.
A première vue, ses panoramas ressemblent à une BD enfantine avec une bande de petites filles blondes et radieuses. Mais dans de nombreuses œuvres, on y découvre un grand sadisme avec des corps éviscérés, des enfants étripés, décapités, dans un monde de guerriers, de dragons et de tempêtes cataclysmiques. Obnubilé par l’enfance, Darger est aussi un sadique sexuel refoulé.
Il ne savait pas dessiner et ses figures sont prises en décalquant dans des livres, revues et publicités, mais il démontre un grand talent de coloriste et est brillant dans la composition de ses panoramas.
Capharnaüm
Sa vie fut tragique. Il naît en 1892 à Chicago, d’un père immigré allemand, de 52 ans et d’une mère qui meurt 4 ans plus tard en couches. Son père le place quand il a 8 ans, sans doute suite à des troubles du comportement, dans un asile gigantesque pour enfants troublés. Plusieurs scandales d’abus sur les enfants y éclatèrent sans qu’on sache si Henry Darger en fut victime. A 17 ans, il s’enfuit et rejoint Chicago à pied - 250 km ! - où il mènera jusqu’à sa mort à 81 ans, une vie recluse, sans ami, vivant de petits travaux dans des asiles.
Quelques mois avant sa mort, son mauvais état de santé l’envoie dans un hôpital. Le propriétaire de son appartement, le photographe Nathan Lerner, découvre alors, dans un capharnaüm sans nom, l’œuvre de toute une vie faite volontairement dans le plus grand secret.
Il avait écrit un roman, touffu, illisible, de 15 000 pages sur des enfants en guerre, avec un titre kilométrique : "L’Histoire des Vivian Girls dans ce qui est connu comme les Royaumes de l’Irréel et la violente guerre glandéco-angelinienne causée par la révolte des enfants-esclaves". Et il avait, de plus, illustré son histoire de milliers de grands dessins à la gouache et de collages.
Phallus féminin
Au centre du récit, les sept Vivian Girls, filles de l’empereur chrétien d’Abbieannia, poursuivies par les cruels Glandéliniens qui cherchent à les tuer. Elles ont le look de petites Shirley Temple et se comportent comme des Jeanne d’Arc. On les voit se cacher dans des tapis, descendre un haut mur, se réfugier derrière des arbres. Face à elles, des soldats, des mâles avec moustaches et costumes de la guerre de Sécession, qui n’hésitent pas à égorger, pendre, décapiter, éviscérer leurs petites victimes au milieu d’incendies. On croirait "Les désastres de la guerre" de Goya. Parfois, ils portent curieusement des chapeaux universitaires. Et cela, sous des ciels souvent de tempêtes (Darger fut toute sa vie fasciné par la météo).
Ces petites filles ont curieusement des sexes de garçon. Pourquoi ? Mystère. Est-ce un fantasme homosexuel de petits garçons déguisés en fille ? Darger avait-il vu dans sa vie un seul sexe féminin ? Est-ce le fantasme d’un phallus féminin ?
Papillons et gentils dragons
On retrouve aussi de nombreux signes chrétiens comme la crucifixion souvent présente. Henry Darger dessinait aussi les drapeaux des troupes en présence, leurs généraux, et ajoutait de longues légendes, comme dans une BD ou la tapisserie de Bayeux.
Le sadisme de ses scènes culmina durant la Seconde Guerre mondiale. Ensuite, ses panoramas s’adoucirent et les fillettes évoluaient alors dans des purs jardins idylliques d’Arcadie, peuplés de papillons et de gentils dragons.
Derrière cette saga colorée et plaisante d’apparence, se retrouve en réalité une vision de la cruauté de notre société à l’égard de ceux qui échappent aux moules qu’elle nous impose.
"Henry Darger", musée d’Art moderne de la ville de Paris, jusqu’au 10 octobre.
A Paris avec Thalys, en 1h20. 25 trajets par jour.