Stephen Shore : on the road et en couleur
Arles accueille une rétrospective du grand coloriste américain.
- Publié le 26-07-2015 à 18h01
- Mis à jour le 27-07-2015 à 06h48
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Avant les années 1970, la photographie dite "artistique" ne se déclinait qu’en noir et blanc. La photographie en couleur relevait en fait de la banalité des usages publicitaires ou amateurs. Avec William Eggleston et Joel Meyerowitz, Stephen Shore (1947) fait partie de cette génération de photographes américains qui ont changé la donne en la faisant entrer dans les musées et les galeries. L’importante rétrospective que les Rencontres d’Arles lui consacrent tout l’été montre que ce n’était en rien un hasard.
La veine de la banalité
Dans cette exposition produite par la Fondation Mapfre (Madrid), on voit en effet le tout jeune Shore, familier du cercle d’Andy Warhol, s’intéresser très tôt à l’image vernaculaire et donc à la couleur. Dès 1971, dans la ligne d’un Walker Evans dont l’exposition actuelle au Musée d’Arles Antique offre une belle perspective à la sienne, il réalise "All the Meat You Can Eat", un travail peu spectaculaire composé d’instantanés et de cartes postales. Une façon de relater avec des "outils adéquats" ce quotidien délaissé à l’époque par les photographes artistes plus inspirés par l’esthétique conventionnelle.
De 1972 à 1973, lors d’un voyage de vingt-deux mois à travers les Etats-Unis, il approfondit cette veine de la banalité en photographiant avec un appareil d’amateur, jour après jour, tout ce qui l’entoure : frigidaire, table du petit-déjeuner, station-service, façades de maisons, visages anonymes… Ces images en rupture avec "l’instant décisif" à la Cartier-Bresson ne seront publiées qu’en 1999 sous l’intitulé "American Surfaces". Leur vertu est précisément d’éviter les moments exceptionnels pour décrire au ras des pâquerettes l’Amérique des bords de routes. Aujourd’hui on s’aperçoit qu’au-delà de la trivialité des motels et de la signalétique, elles laissaient déjà apparaître les prémisses de l’anonymat et de l’uniformisation du pays engendrés par la croissance urbaine et commerciale exponentielle.
En ce sens, elles annonçaient "Uncommon Places", sa série suivante également sur la banalité, mais réalisée cette fois à la chambre 20x25, c’est-à-dire - belle ironie - avec l’appareil photo qui durant un siècle avait servi à forger l’image héroïque de l’Amérique des grands espaces. La sélection des images de ce chef-d’œuvre présentée à Arles préfigure une bonne part des quatre décennies suivantes de la photographie américaine, de Joel Sternfeld à Alex Soth. On y voit la synthèse entre le "road trip" à la façon de Robert Frank et l’enregistrement constant de la vie à la façon de Warhol. Le premier cliché de l’album éponyme représente d’ailleurs tout simplement ce qu’il voit de son lit dans un motel de passage : ses pieds, la fenêtre et ses rideaux, la TV, une chaise, une table et sa valise. Une manière d’annoncer un voyage plus personnel que subjectif, peu sentimental et plutôt à la surface des choses.
Se mettre en danger
Stephen Shore aurait pu se contenter d’exploiter ce filon inépuisable de la quotidienneté en couleur, mais son besoin d’aller voir ailleurs l’a conduit, dans les années 90, à revisiter la photographie en noir et blanc. Notamment avec une série sur la nature qui dénote la préoccupation d’éviter le "paysage". A Arles, cela a surpris, voire déçu tout un public attaché à l’idée qu’il se fait de l’auteur et de son œuvre. Et pourtant, quoi de plus enthousiasmant que de découvrir comment celui-ci cherche de nouvelles voies, comment surtout il parvient à se renouveler en utilisant - c’est la marque des grands - les forces et les faiblesses de son âge.
Comme pour boucler la boucle, cette rétrospective se termine sur deux travaux récents (2013) à nouveau en couleur. Tous deux semblent sortir des archives de "Uncommon Places" et accréditer l’idée d’une régression stylistique de quarante ans. A ceci près que le premier nous montre une Ukraine actuelle ressemblant étrangement aux USA des seventies. Et à ceci près que le second, s’il se cantonne à la seule ville de Winslow en Arizona, a été réalisé… en une seule journée. De l’art de se mettre en danger.Jean-Marc Bodson
"Stephen Shore, rétrospective". Rencontres d’Arles, Espace Van Gogh, jusqu’au 20 septembre. Rens. : www.rencontres-arles.com/.