Pompéi court contre la montre
Un grand projet a été lancé pour sauver le site archéologique de Pompéi des ravages du temps et des hommes. La Commission européenne a débloqué une enveloppe pour mener à bien ce défi. Elle doit être dépensée d’ici le mois de décembre sous peine d’être perdue. Or seuls 9 des 48 millions d’euros ont été utilisés. Reportage.
Publié le 27-07-2015 à 14h32
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Regardez, la couleur des parois est de nouveau bien visible, nous avons trouvé de tout sur ces murs; du calcaire, du sel, nous avons beaucoup souffert pour les sauver !" Du haut de son échafaudage, Valentina, une jeune restauratrice, admire la fresque, et passe délicatement un pinceau sur les parois de cette "domus" célèbre pour ses pièces aux murs totalement recouverts de ce pigment rouge, mieux connu sous le nom de "rouge Pompéi". "C’est très impressionnant de travailler ici, c’est comme retourner en arrière dans le temps, et petit à petit retrouver ce qui faisait la splendeur de cette ville, mais nous avons aussi l’impression de lutter contre le temps, car vraiment Pompéi n’est pas en bonnes conditions", confie la jeune femme.
La qualité au lieu de la précipitation
La "domus" aux parois rouges ouvrira à nouveau au public dans quelques semaines, après des mois de travaux. Ce chantier fait partie du grand projet Pompéi, lancé en mars 2012 après une série d’éboulements dramatiques. Un montant de 105 millions d’euros destiné à une cure intensive, financé par la Commission européenne à hauteur de 41,8 millions d’euros, le reste provient de l’Italie.
Mais l’Europe a mis sa condition : l’argent doit être dépensé avant fin décembre 2015, sous peine d’être perdu. "Pour le moment, seuls neuf millions d’euros ont été réellement utilisés. C’est clair qu’il ne sera pas possible de terminer pour la fin de l’année", affirme Antonio Irlando, président de l’Observatoire du patrimoine, "mais si quelqu’un veut se dépêcher pour dépenser tout l’argent dans les temps, alors je lance un appel à l’Europe : venez contrôler la qualité des interventions, car le risque existe à présent qu’à force de vouloir aller vite, la bonne exécution des travaux ne soit pas toujours garantie", s’insurge cet architecte amoureux de la ville ensevelie par les cendres du Vésuve en l’an 79 de notre ère.
Un projet touristique inexistant
En entrant sur le site antique, l’archéologue Tsao Cevoli ne cache pas son irritation. "Regardez là-haut, les herbes sur les murs; des oiseaux qui font leur nid dans les ruines, c’est tout cela qui provoque les éboulements. C’est très bien de faire une intervention extraordinaire comme le grand projet, mais Pompéi a besoin de soins réguliers pour éliminer la végétation. Il faut investir dans des équipes de manutention quotidienne. Ici, tout peut s’écrouler à la première pluie", dit-il en indiquant un haut mur. "Ce qui est encore plus inquiétant, c’est le manque d’un vrai projet qui tient compte des trois millions de visiteurs qui entrent chaque année sur le site de Pompéi",ajoute ce chercheur de l’université de Naples.

"La sueur du corps"
Comme pour confirmer ces propos, des centaines de touristes, pour la plupart porteurs d’un sac au dos alors que ceux-ci sont normalement interdits sur le site, se promènent et entrent dans les fragiles demeures. "Je ne dis pas que les touristes sont tous des vandales qui veulent saccager Pompéi. Ces derniers existent malheureusement mais ils sont rares", explique Tsao Cevoli, "mais le plus grand risque, ce sont ces grands groupes par exemple. Les touristes écoutent le guide ou alors ils sont plongés dans un livre sur Pompéi, et sans se rendre compte, ils s’appuient contre le mur. C’est très grave, la sueur du corps se dépose sur ces peintures très fragiles et se transforme en terrain fertile pour les micro-organismes qui abîment la fresque. Ce n’est quand même pas compliqué de mettre des cordes et des alarmes qui sonnent quand quelqu’un s’approche du mur, comme dans tous les musées du monde. Voilà à quoi une partie de l’argent devrait servir !"
En effet, les restaurateurs doivent souvent courir pour réparer des dégâts occasionnés par des touristes. "Dans la ‘domus de la petite fontaine’, une touriste a cru bon de laisser une trace de son passage à Pompéi, elle a embrassé un mur restauré il y a peu, en laissant une énorme trace de rouge à lèvres", explique Manuela Valenti, responsable des travaux. "Je dois aller cet après-midi pour tenter d’effacer ces traces sans abîmer la paroi. Nous avons déjà augmenté le nombre de gardiens, mais ce n’est pas suffisant. Nous manquons vraiment de main-d’œuvre et de surveillance."
Trente chantiers ouverts
Le surintendant, Massimo Osanna, reconnaît que le plus grand défi est de maintenir la ville de Pompéi accessible aux visiteurs alors que plus de trente chantiers sont ouverts simultanément, pour tenter de gagner cette course contre le temps. "Sur le papier, les 105 millions d’euros sont investis, mais pour faire réellement partir les chantiers les procédures sont longues, notamment à cause des certificats anti-mafia que nous exigeons", explique cet archéologue choisi pour mener à terme le plus grand chantier de l’histoire du site, "nous avons mis la priorité sur la mise en sécurité, les travaux pour éviter les infiltrations d’eau de pluie sont presque achevés. Quand Pompéi a été placée sous le contrôle d’un commissaire, en 2010, de très mauvais choix ont été faits à l’époque, il a voulu uniquement valoriser le site, pour faire de Pompéi une attraction touristique, sans penser à la conservation sur le long terme. Lorsque nous aurons éliminé les risques d’infiltrations et d’éboulements, alors nous pourrons penser à développer le tourisme, notamment avec un projet qui me tient très à cœur et qui permettra l’accessibilité aux personnes moins valides. Pompéi sera finalement accessible à tous."
Symbole de la renaissance
Massimo Osanna est confiant, mais sait aussi que Pompéi reste fragile. "Pompéi est sauvée, je peux l’affirmer à l’Unesco, mais il y aura toujours des travaux à faire, tout ne s’arrêtera pas quand le grand projet sera achevé", affirme-t-il, "d’autant qu’il existe encore vingt-deux hectares de la ville antique qui n’ont jamais été fouillés, tout est encore sous la cendre, sous la terre; pour mener à bien la consolidation des ‘domus’, nous allons devoir fouiller une petite partie, mais je vous assure que je me battrai tant que je serai en poste pour interdire les fouilles de la moitié encore intacte, laissons cela aux générations futures qui auront sans aucun doute des techniques de fouilles beaucoup plus efficaces et moins dangereuses pour les bâtiments."
Déjà, grâce à l’argent du grand projet, le plus beau regard de Pompéi est à nouveau offert au grand public. Les grandes fresques de la "villa des mystères" ont en effet retrouvé toute leur splendeur après cinq mois de travaux. Le visage de cette adolescente qui se transforme sur les murs pour devenir une belle jeune femme mélancolique est devenu le symbole de la renaissance de la ville.