Après la multiplication des pains, la démultiplication de l’art
L’œuvre n’a pas besoin d’être unique pour avoir le statut d’art. Démo à la galerie des galeries, à Paris.
Publié le 28-07-2015 à 09h28 - Mis à jour le 28-07-2015 à 09h38
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Voici que la galerie des galeries nous propose une désacralisation salutaire de l’art. Un art en magasin, vif et festif. Sans complexe aussi. Car on parle ici non plus de quintessence de l’unique mais bien d’un art pourvu d’une capacité à se multiplier. Un propos exposé au cœur d’un grand magasin - qui justement propose surtout la profusion, la folie des objets entassés (les soldes qui battaient leur plein le jour de notre visite reflétèrent ce cliché d’un mont d’objets que le consommateur ne résiste pas à gravir avec endurance - il en faut - et plaisir coupable).
Une idée préconçue consisterait à dire que la conso d’objets n’a rien à voir avec l’acquisition artistique - l’une étant plus noble que l’autre. Vraiment ? La Galerie des Galeries pose la question.
L’achat d’art sacralisé
Face à l’objet de conso, on aurait tendance à opposer l’œuvre d’art, et c’est sans doute une erreur. Après tout, l’art n’est pas toujours inabordable et il n’est pas non plus si éloigné d’une consommation de mode ou design. C’est ce qu’a voulu montrer sans diktat Elsa Janssen, directrice de la Galerie des Galeries. Elle a donc invité huit artistes à réfléchir une œuvre dite "multiple", qui serait exposée, vendue comme telle dans les murs, et mieux même : mise en scène dans un décor d’objets où tout est à vendre. L’art vendu au grand magasin, provoc’ ou pas ? Pas si sûr que ça. Après tout, l’art est partie des activités du quotidien; l’expo le montre d’ailleurs, on peut laisser une plante verte traîner sur un banc de Jean Prouvé, on pourrait décider d’accrocher son veston à la sculpture plexi d’Elvire Bonduelle… Ce ne serait pas un scandale…
Attention, selon Elsa Janssen, "Il n’était pas question ici de minimiser la démarche de création car l’œuvre était multiple", mais de la replacer dans un contexte du quotidien. Acheter de l’art, comme de la mode, ou du design revient à acheter des choses qu’on aime et qui nous attirent. Selon Elsa Janssen, si l’acte d’achat de l’art n’est pas anodin, il répond surtout à des critères d’appréciation qui relèvent d’une certaine classe culturelle. Voilà qui est dit : on apprécie l’art en fonction de son milieu et, dans la foulée, on pose chez soi ou sur soi des objets qui ne sont pas sans faire écho à notre origine.
Mise en scène de l’art dans le quotidien
Huit espaces découpent la surface muséale, autant d’ambiances créées par différents protagonistes spécialistes. Mélanie Scarciglia et Christophe Boutin, éditeurs, ont proposé aux artistes différentes formes de démultiplication de leur œuvre (en posant la question du nombre et de la matérialité de l’œuvre en question). Victoire Simonney, a trouvé les pièces mode qui se connectent aux œuvres des huit artistes invités. Jean-Baptiste Charpenay-Limon dit "le dénicheur" a déposé les objets qui forment le décor chacune des huit saynètes autour des œuvres. Pauline Marchetti a proposé un cadre à tout ce monde-là, et Pierre-Arnaud Alunni arrose le tout d’une bande-son qui doit faire tout sauf musique d’ascenseur - elle doit accompagner le visiteur.
Le pompon : les œuvres multiples sont à acheter comme dans une galerie, mais aussi tous les objets qui dialoguent avec eux. Plus qu’à commander après sa visite. Certains trouveront cela grossier de vendre les œuvres avec le décor… Mais après tout, les artistes, comme les modeux et les designers, doivent remplir leur caddie aussi.
Et quand on visite, ça donne quoi ?
On tombe nez à nez avec le collage de Daniel Gordon, "Onions and Mackerel", un collage d'images ensuite rephotographié. Comme un oignon que l’on pelle, le travail de l’artiste américain se fait par couches. Avec bonne humeur, Jean-Baptiste Charpenay-Limon saisit la balle au bon, et pose au pied du tableau de l’artiste un économe et une planche à découper. Histoire de se payer une tranche d’art !
Victoire Simonney, la responsable mode, a choisi quant à elle de mettre en parallèle l’œuvre de Gordon et des pièces de mode taillées à la hache, découpées ou faites d’infinies stries - comme un oignon. Et tout à coup, l’œuvre d’art est au choix un légume pour la soupe (les assiettes s’empilent au pied du tableau), ou encore un objet géométrisé fait de lignes. Vous ne regarderez plus jamais un oignon de la même manière. Mieux que cela, cela donne envie de clouter le tableau de Gordon sur la crédence, dans la cuisine. Histoire de pleurer devant tant de beauté, quand on épluche les oignons.
"Idées multiples", à la Galerie des Galeries, 1er étage des Galeries Lafayette, à Paris. Jusqu’au 12 septembre. Entrée libre. Infos : www.galeriedesgaleries.com
Paris est à 1h22 de Bruxelles, avec thalys. Infos et rés.sur thalys.com