L’art brut en questions

Proposée au BAM dans le cadre de Mons 2015, MonSens est une réussite.

Roger Pierre Turine
L’art brut en questions

Bénéficiant de la coordination de l’ASBL PsycArt, du concours des plates-formes hennuyères de concertation pour la santé mentale, de la participation des résidents du Carrosse et du commissariat de Carine Fol - spécialiste engagée, qui vient de publier "De l’art des fous à l’art sans marges" aux éditions Skira - et de Yolande De Bontridder, d’Archétype, l’exposition articule un savoir et un savoir-faire hautement qualifiés, facteurs indéniables de l’attrait que suscite l’événement auprès des visiteurs. Qui se demanderait ce que recoupe la notion d’art brut doit aller à Mons : il y trouvera des réponses, éclectiques et enjouées, probantes et salutaires, à ses questions. A la fois florilège et décryptage, l’accrochage multiplie et diversifie ses pôles d’intérêt à tous les étages du BAM.

A la hauteur d’attentes

L’exposition se visite de haut en bas, démarre au deuxième par un inventaire de l’art brut d’hier à nos jours. Les tenants et aboutissants d’un art qui surprend par ses caractéristiques peu usuelles et enchante par sa liberté d’expression.

Que du bonheur ! Le florilège est à la hauteur d’attentes légitimées par la présence de Carine Fol aux commandes. De nombreux et prestigieux prêteurs ont dès lors collaboré à l’inventaire par des prêts qui sortent de l’ordinaire. Citons : Art Marges Musée, Bruxelles ; Collection de l’art brut, Lausanne ; Collection Prinzhorn, Heidelberg ; Haus der Künstler, Gugging, Autriche ; LaM, Villeneuve d’Ascq ; MADmusée, Liège ; Musée Dr Guislain, Gand.

A toute impératrice, tout honneur : l’admirable coloriste Aloïse Corbaz, qui s’était éprise de l’empereur Guillaume II, à la cour duquel elle travaillait, ouvre la marche avec une feuille si caractéristique d’un ouvrage aux crayons gras tout bruissant de belles dames et seigneurs et de coloris qui flambent.

La science dans tout ça

A côté d’intervenants moins connus, des figures marquantes défilent aux cimaises. Internationales comme Carlo Zinelli ou l’incroyable Willem Van Genk, ses tramways en 3D, ses collages et découpages, André Robillard et sa panoplie de fusils; ou plus locales, tels Niels Dieu ou Alexis Lippstreu et sa version de la "Femme au tub" de Degas.

La mise en bouche est festive, ni discours, ni thérapies. Mais, quel sens revêt ce type d’œuvres pour le créateur et pour le visiteur ? La question est posée autour d’un parcours qui met en scène psychiatrie et art asilaire. L’étude de la folie à travers la création. Est alors balisée l’évolution de cette réalité au fur et à mesure des évolutions de la science et des regards. Des premiers constats du Dr Prinzhorn aux extrapolations fomentées par Harald Szeemann, auteur de tant d’événements "décoiffants et salutaires", en passant par les écrits surréalistes de Breton ou Michaux. A voir, entre autres pièces de choix, une rare sculpture de Johann Karl Genzel, un cahier d’Aloïse, et du Wölfli, qui s’est créé une mythologie individuelle.

Avec Jean Dubuffet, on aborde un tournant de l’art brut et de sa reconnaissance, puisqu’il s’est mis à collectionner les artistes hors-norme. Dubuffet parlait de "subversion" par rapport à l’art culturel. L’art brut n’est plus seulement asilaire, il est le fait d’auteurs en marge. Parfois médiumniques, tel Augustin Lesage.

Créer pour exister

Point de discours pour ces créateurs, mais une manière de se protéger, de résister, d’exister par leurs moyens du bord : écriture répétitive, gestuelle caractérisée, amoncellement, autoportrait, machines extraordinaires, etc. Avec, parfois aussi, un caractère mystique. S’évader, s’ouvrir au monde : les mobiles sont multiples et l’expo les explicite.

Une énigme dans ce parcours : le "schizomètre" de Marco Decorpeliada, né à Tanger en 1947, mort en 2006. A vos méninges !

Au premier étage, mise en relief des interactions possibles entre artistes confirmés et créateurs handicapés mentaux. En exergue, des réalisations communes à la suite d’un travail mené sur deux années. Participations ludiques, inventives, de Tinka Pittoors, Emilio Lopez Menchero, Caroline Rothier, Lise Duclaux, Mireille Liénard, Cléa Coudsi et Eric Herbin… Passionnant !

Et pour les fans, évocation du "Processus" de ces résidences en photos, dessins et films. Une fête des sens.

BAM, rue du Musée, Mons. Jusqu’au 6 septembre. Catalogue essentiel, 225 pages en couleurs, CCF Editions. Infos : www.monsens.be

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