Michel Leiris, l'ami des plus grands artistes
Très bel hommage du Centre Pompidou-Metz à l’écrivain, poète et ethnographe Michel Leiris (1901-1990). Il fut l’intime des plus grands artistes (Picasso, Giacometti, Bacon, Miro, etc.) et en parlait merveilleusement. 350 œuvres magnifiques, un vrai musée, lui rendent hommage.
Publié le 28-07-2015 à 09h02 - Mis à jour le 28-07-2015 à 10h43
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Il y a deux bonnes raisons de visiter actuellement le Centre Pompidou-Metz : une très jouissive exposition sur “Warhol underground”, sa Factory et ses liens avec la musique, la danse et le cinéma. Une expo qui attire déjà la foule (nous y reviendrons). Et l’autre, d’apparence plus pointue, mais passionnante et d’une incroyable richesse : une exposition sur Michel Leiris et ses amis artistes.
L’art pour Leiris était au centre de la vie : “Il ne saurait y avoir pour moi un plan de l’art et un plan de la vie. L’art n’est pas distraction mais transfiguration de la vie; il doit s’y intégrer et non pas l’embellir comme un ornement ajouté.”
Avec les textes admirables de Leiris, ses lettres, ses documents, ses photos, c’est tout le XXe siècle de l’aventure de l’Art moderne et contemporain qui défile devant le visiteur. Car Michel Leiris n’a cessé d’interroger le monde. Le Centre Pompidou en parle comme d’un “homme intégral”.
Le parcours chronologique donne une bonne idée d’une vie où s’accumulèrent les expériences. Celles de l’enfance, d’abord, “ce chaos miraculeux”, disait-il, d’où tout naît par la suite. La rencontre ensuite, à 21 ans, du surréalisme, de Miro et d’André Masson, les après-midi chez le grand marchand d’art des cubistes, Daniel-Henry Kahnweiler dont il épousera la fille et qui le mettra en contact avec Picasso et Giacometti.
Fan de jazz
A cette époque, il multiplie les poèmes et les jeux de mots (“Lancer les dés aux mots”, disait-il). Il veut mettre en résonance signes, sens et sons. Il découvre le jazz et y voit “plus qu’une musique pour faire danser, une musique à faire peur, donc une musique à faire aimer. Le jazz est la vraie musique sacrée, c’est-à-dire celle qui est la plus capable de faire entrer une foule en transe.”
S’il en prend le temps, le visiteur de l’exposition peut ainsi entrer littéralement dans la pensée et les recherches d’un homme dont le but était, disait-il, de “mettre les rêves bout à bout et en faire un roman d’aventures”.
Vite, il s’éloigne du surréalisme de Breton pour fonder, avec Georges Bataille, la revue “Documents” dont l’objectif est “de nous débarrasser des poussières dans lesquelles nous moisissons. Il n’est pas de démarche valable qui ne soit une rupture des limites”, ajoutait-il. Il veut retrouver “notre ancestralité sauvage”.
En ce sens, Michel Leiris est en pleine osmose avec l’Art moderne. Celui-ci veut rechercher les vérités cachées par les apparences. Comme Freud avait révélé l’inconscient, comme Einstein avait découvert la mécanique invisible du monde, comme Kandinsky avait ouvert la voie d’un art abstrait plus proche des pulsations du monde, l’art pour Leiris doit puiser dans nos fondements inconscients.
La tauromachie
Michel Leiris, comme Picasso, voit une analogie entre l’artiste et le torero qui joue sa vie dans le combat avec le taureau. Il revendique une “esthétique du risque”. La tauromachie étant aussi une métaphore de l’amour et de la sexualité, “une cérémonie sacrificielle”.
Michel Leiris participa en tant qu’archiviste à la première mission ethnographique française en Afrique, conduite par Michel Griaule, la mission “Dakar-Djibouti” de 1931 à 1933.
Il relata cette expérience fondamentale dans son admirable livre “L’Afrique fantôme” qui mêle de manière neuve le journal de terrain et le récit autobiographique. Il y raconte ses doutes, ses faiblesses, ses désirs, autant que les faits qu’il observe. Revendiquant la nécessité d’être subjectif pour approcher l’objectivité : “S’il est une chose qu’un homme possède quelque titre à connaître, c’est lui-même, donc les ombres du monde, de ses êtres et de ses choses telles qu’elles se projettent sur son esprit.”
L’Afrique
Il sera fasciné par ces “ombres” chez les Dogons du Mali. L’exposition s’arrête longuement sur leurs masques admirables, les photos, les films. Michel Leiris voulait aller en Afrique pour “rejeter mon corset mental”.
Il en reviendra ethnographe, multipliant les voyages décisifs dans les Antilles (rite vaudou), en Ethiopie, en Chine, devenant africaniste au musée de l’Homme.
Aujourd’hui encore, ses écrits inspirent de nombreux artistes actuels comme le montre encore l’exposition de Metz.
Leiris Co. Picasso, Masson, Miro, Giacometti, Lam Bacon… au Centre Pompidou-Metz, jusqu’au 14 septembre
Un vrai musée de l’Art moderne
Pour illustrer ce contact étroit entre Leiris et les plus grands artistes de son temps, l’exposition montre 350 œuvres, dont de nombreux chefs-d’œuvre. Un vrai musée du XXe siècle. Il y a d’abord la rencontre avec André Masson et Miro. Miro dont il écrit : “La façon la meilleure d’aborder une œuvre de Miro est de faire le vide en soi, de la regarder sans arrière-pensée et d’y baigner ses yeux.”
Giacometti
Toute la deuxième partie de l’exposition est alors une suite de tableaux importants. Avec Picasso bien sûr, omniprésent avec, par exemple une splendide “Femme au fauteuil rouge” et un “Acrobate” des années 30. De nombreuses photographies montrent la complicité entre Leiris et Picasso, tous deux passionnés par l’art, les femmes et aussi la tauromachie. Il parlait de Picasso comme d’un “génie sans piédestal” et il ne pouvait qu’être fasciné par un homme qui disait que “chaque tableau que je fais est une fiole pleine de mon sang”.
Il y a aussi la rencontre de Leiris avec Giacometti, son frère. Il médite sur ses sculptures : “Donner une connaissance à ce qu’il y a d’insaisissable et de fugace dans n’importe quel fait… laisser en suspens.” Ils partagent la même lutte pour saisir le réel entre mort et vif.
Giacometti a fait de lui de beaux portraits et sera à ses côtés quand Leiris fit une tentative de suicide en 1957. Il fera des dessins de son ami sur son lit, accompagnés de poèmes de Leiris comme ce texte, splendide, sur l’espoir qui peut renaître dans le désespoir : “Telles les racines de l’arbre, ou tels les filaments de l’araignée, s’unir pour que mûrisse un chant d’oiseau dans la cave où nous sommes enfermés.”
Il y a tant de Giacometti dans l’exposition que c’est déjà en soi une exposition dans l’expo sur ce seul artiste !
Francis Bacon
Francis Bacon fut le dernier grand coup de foudre de Michel Leiris qui a écrit de nombreux textes et livres sur le peintre anglais. L’exposition montre deux portraits de Leiris par Bacon et plusieurs grands tableaux qui illustrent bien ce que Leiris disait. Comme le “cri” du pape Innocent X inspiré du tableau de Velasquez et hurlant sur sa chaise comme électrifiée : “Le cri, un trou, une déchirure dans le tissu de la vie civilisée.”
Leiris retrouvait chez Bacon cette manière de fendre l’apparence, de trouer le réel qu’il a toujours recherché lui-même et qu’il avait vu chez Bataille et Duchamp comme chez les Dogon du Mali. La peinture de Bacon est pour lui, “un contact intime avec la réalité enfin mise à nu. Une double convulsion, celle de la peinture elle-même et celle du corps qu’elle figure.”
Leiris, cet homme petit et maigre, au crâne immense, ce timide désirant, cet écrivain, a mieux compris que quiconque l’aventure artistique du XXe siècle. Frappé par les horreurs de la guerre, lassé de la tauromachie, il chercha à la fin de sa vie l’émotion dans l’opéra. “Je préfère aujourd’hui à la réalité sanglante de la tragédie taurine, le tragique fictif de l’opéra.” Et l’exposition s’achève sur le “Casta diva” de Maria Callas dans la Norma de Bellini.