Louis Soutter hôte d’Hugo

Rencontre impromptue à Paris entre deux visionnaires.

Roger Pierre Turine à Paris
Louis Soutter hôte d’Hugo

Insolite, la mise en parallèle des dessins énigmatiques et tragiques de deux génies que tout séparait. De la gloire de Victor Hugo (1802-1885), poète célébrissime et pamphlétaire virulent, à l’enfermement de Louis Soutter (1871-1942), violoniste suisse, accidenté de la vie, on retiendra l’étonnante faconde créatrice qui les propulsa, l’un et l’autre, aux frontières d’un art d’une redoutable lucidité visionnaire.

Placé sur le piédestal de l’art brut, Soutter n’aurait pu rêver plus remarquable mise en exergue que cette exposition dans la maison d’un homme qu’il admira, dans le sillage duquel il commit une œuvre qui frappe les esprits par sa vitalité, sa clairvoyance, ses mystères.

Le duo fonctionne à merveille, démarre sur une sorte de "Dîner de têtes" à la Prévert qui, sous la plume de Soutter, réunit ses admirations : Ysaye (son professeur de violon), Dante, Bolchoï, Ibsen, Tolstoï, Homère, Hugo, Neveu, Rodin…

Dessinateur par raison

De la vie compliquée de Soutter, on retiendra qu’il vécut à Colorado Springs, y enseigna le dessin et le violon, y divorça, rentra en Suisse, y reprit une carrière musicale de premier violon dans l’Orchestre philharmonique de Genève, fréquenta Stravinsky avant, en 1923, de se retrouver endetté et placé dans l’hospice pour vieillards de Ballaignes, dans le Jura vaudois.

Que là-bas, son violon vendu, il se mit à dessiner à l’encre et au crayon, et tout attisa sa curiosité graphique. La vie quotidienne, les villes, les architectures, les femmes, les personnages de l’histoire et de l’Ecriture sainte.

Le Corbusier, son cousin, lui acheta des dessins et Giono le pria d’illustrer ses ouvrages. Mais, en 1937, l’arthrose le condamna à délaisser pinceaux et crayons et il travailla les doigts trempés dans de la peinture noire pour carrosseries. De cette époque datent des paysages abstraits et des silhouettes énigmatiques.

L’exposition frappe les imaginations par la collusion que l’on y ressent bien entre les appropriations étonnamment complices, par l’un et l’autre, des sujets traités. D’où un bonheur visuel constant et la perception explicite de ce goût pour la fantasmagorie qui nourrit les deux œuvres.

Une expo à déguster, car elle est, raccourci poignant, le petit théâtre d’une humanité entre fantasme et réalité.

Maison de Victor Hugo, 6, place des Vosges, 75004 Paris. Jusqu’au 30 août. Infos : www.maisonsvictorhugo.paris.fr

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