A Knokke, l’excellence de l’art contemporain estival
Durant l’été, les seules galeries d’art contemporain qui fonctionnent à plein rendement sont basées à Knokke. Une dizaine d’entre elles proposent des one-man-show inédits et des expos collectives haut de gamme. Deux ensembles thématiques, auxquels se joint un catalogue, se hissent au niveau muséal.
Publié le 10-08-2015 à 19h26 - Mis à jour le 11-08-2015 à 10h35
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Comme chaque été, le rendez-vous de l’art contemporain se tient en août à Knokke. Toutes les galeries sortent leurs atouts et les premières réactions le confirment, collectionneurs belges et étrangers se montrent friands, intéressés, acheteurs ! Sur la soixantaine de galeries estivales, pop-up comprises, on n’évite évidemment pas les chromos, gadgets et autres avatars. Hors quelques marchands qui ont pignon sur côte principalement avec des œuvres d’artistes belges des années cinquante à quatre-vingt, les Cobra en tête, une dizaine de galeries seulement émergent du lot et méritent amplement le déplacement. Elles offrent des solos ou des ensembles que l’on ne verra nulle part ailleurs. Le rendez-vous s’impose !
Secret bien gardé
Parmi les one-man-show on pointera dans la galerie de Guy Pieters une primeur pour un projet qui verra concrètement le jour en juin prochain. Christo - qui associe toujours son épouse décédée Jeanne-Claude à ses travaux - a levé le secret bien gardé d’une réalisation à venir en Italie : un pont flottant (The Flooting Piers) qui reliera deux petites îles au rivage du lac Iseo. Selon sa pratique éprouvée, il a réalisé toutes les études nécessaires avec les ingénieurs, obtenu toutes les autorisations et financé le tout personnellement en vendant les dessins de ce projet totalement original. Dessins de toutes dimensions, études techniques des moindres détails présentées dans la rigueur des épures en noir et blanc, photographies, sont exposés pour la première fois et en exclusivité durant tout le mois d’août. Les longs chemins orange permettront littéralement de marcher sur l’eau !
Sélection internationale
Un second solo de taille est réservé aux peintures récentes de Guy Van Bossche dans le nouvel espace, clair et vaste de la galerie Mulier Mulier. Nous y reviendrons mais il faut goûter à cette qualité picturale.
L’artiste place au premier plan, sur des sujets aussi variés que des vues d’atelier, de salles de cinéma ou de radeaux surchargés de baigneurs (à lire à plusieurs niveaux !), la peinture dans ce qu’elle a de plus singulier à savoir cette capacité à poétiser ce qu’elle aborde en finesse, en subtilité chromatique, en lumière indescriptible. Chez van Bossche, la matière sublime les sujets !
On retiendra aussi, avec autant de ferveur, les peintures d’un réalisme photographique de Muntean Rosenblum chez André Simoens. Ces peintures nous transportent littéralement dans les scènes évoquées qui semblent autant appartenir à la réalité que sortir d’un film.
Autre ensemble comprenant sculptures et dessins chez Sabine Wachters. Chargées de symboles les œuvres de Bill Woodrow, une pointure anglaise, principalement des bronzes uniques dont certains sont dorés à la feuille, polysémiques à souhait, évoquent sans illustrer. Chez Patrick De Brock, les peintures récentes et inédites en Belgique d’Imi Knoebel apportent un souffle nouveau d’une incroyable fraîcheur. Ses peintures sur aluminium, construites par agencements de formes irrégulières, peintes en teintes variées en laissant apparaître les traces de la large brosse, miroitent de luminosités frémissantes et changeantes.
Enfin, chez Stephane Simoens, le retour du Hollandais Berend Strik, avec ses photos cousues de morceaux de tissus qui se posent en surimpression, porte sur des évocations d’ateliers d’artistes de Pollock à David Hammons.
Christo, "The Flooting Piers". Guy Pieters Gallery. Jusqu’au 30 août. www.guypietersgallery.com
Guy Van Bossche, "The Collector". Mulier Mulier Gallery. Jusqu’au 30 septembre. www.miliermuliergallery.com
Muntean Rosenblum. Galerie André Simoens. Jusqu’au 20 septembre. www.andresimoensgallery.com
Bill Woodrow. Galerie Sabine Wachters. Jusqu’au 4 octobre. www.sabinewachters.com
Imi Knoebel. Patrick De Brock Gallery. Jusqu’au 31 août. www.patrickdebrock.com
Berend Strik. Galerie Stephane Simoens. Jusqu’au 14 septembre. www.stephanesimoens.com
Raretés modernes, découvertes jeunes et qualité historique
Du côté des ensembles, les pièces d’une collection bruxelloise rassemblées par Guy Pieters valent le détour par la Zeedijk. Le Lanskoy (1955) y est d’une rare beauté, le Spilliaert en couleur (1910) est impressionnant, "Le Triomphe de Venus" (1940) de James Ensor ne l’est pas moins et l’huile (1917) de Marie Laurencin est un délicat chant poétique, quant au Broodthaers il associe plusieurs données caractéristiques de l’artiste.
Autre ton chez Geukens De Vil car hors Mounir Fatmi, Ugo Rondinone ou Herbert Hamak, on est essentiellement dans la découverte d’une douzaine de jeunes artistes adeptes de la peinture discrète ou haute en couleurs, du dessin avec collage, ou d’approches plus conceptuelles.
A ne manquer sous aucun prétexte, l’exposition "Vision and Motion" chez Ronny Van de Velde qui livre une véritable étude du XVIIIe siècle à aujourd’hui du mouvement (énergie) perçu et retranscrit par les artistes qui croisent des préoccupations scientifiques. Aux pièces montrées en galerie se joignent toutes celles reprises et commentées dans le catalogue qui accompagne cette approche thématique dont nous reparlerons prochainement.
Duo inattendu
Proclamons-le d’emblée : l’exposition Man Ray & Sherrie Levine conçue et réalisée par la galerie Jablonka Maruani Mercier est de niveau muséal par la qualité et la rareté des pièces exposées. Mené avec la rigueur scientifique voulue, le travail met en présence d’une part un ténor de la modernité du début du siècle passé, Man Ray (1890-1976), photographe, peintre et sculpteur, d’autre part l’Américaine Sherrie Levine (1947) dont le travail porte essentiellement sur l’appropriation et sur les questions de copie et d’œuvre originale. "Ce qui m’intéresse, déclare-t-elle, c’est l’information contenue dans chaque image et ce qu’elle signifie." Aussi s’empare-t-elle d’œuvres de très haute réputation, muséales pour la plupart, pour les interpréter à sa manière et ainsi à plusieurs dizaines d’années de distance reformuler la modernité du début du XXe siècle.
A la fois elle démystifie et actualise, montrant que ces œuvres n’ont rien perdu de leur force ni de leur originalité. Démontrant aussi, ce faisant, que ces œuvres fondatrices de la modernité appartiennent désormais à une sorte de patrimoine collectif.
Effets miroir
Initiée à Bruxelles, l’exposition se compose de trois parties. La première (voir "Arts Libre" du 26 juin 2015) traite de la relation à l’art des masques primitifs à travers le regard de Walker Evans. La seconde est axée principalement sur le travail de Sherrie Levine tout en posant des confrontations avec des œuvres de Man Ray et d’autres dont Vinci, Cézanne, et Duchamp. L’un des effets miroir des plus saisissants porte sur le rapprochement entre "Le Cadeau" de Man Ray (1921) et son interprétation par Levine en 2006.
La troisième partie traite quasi exclusivement du jeu d’échec, cher à Duchamp, photographié et étudié par Man Ray, motif repris ensuite par Levine. Des ensembles passionnants constitués d’œuvres d’exception, dont le fameux "Obstruction" (1920-1964), une pièce unique, un mobile constitué de cintres en bois fréquemment exposée en musées. Une exposition d’anthologie !
Pièces de collection. Galerie Guy Pieters. Jusqu’au 31 août. www.guypietersgallery.com
Summertime. Galerie Geukens & De Vil. Jusqu’au 6 septembre. www.geukensdevil.com
Vision and motion. Galerie Ronny Van De Velde. Jusqu’au 21 septembre. www.ronnyvandevelde.com
Man Ray & Sherrie Levine. Galerie Jablonka Maruani Mercier. Jusqu’au 31 août. www.jmmgallery.com