Jan Goossens : "Bruxelles? Une ville de tensions et de problèmes mais aussi de défis et de possibilités"
Entre Jan Goossens et Bruxelles, c’est une longue histoire d’amour. Pendant plus de quinze ans, le directeur du KVS, le théâtre flamand de Bruxelles, a travaillé à créer un théâtre actuel pour toute la ville, toutes les communautés. Avant de de rejoindre Marseille, il nous parle de la capitale belge.
Publié le 17-08-2015 à 12h15 - Mis à jour le 17-08-2015 à 13h22
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Entre Jan Goossens et Bruxelles, c’est une longue histoire d’amour. Pendant plus de quinze ans, le directeur du KVS, le théâtre flamand de Bruxelles, a travaillé à créer un théâtre actuel pour toute la ville, toutes les communautés, travaillant avec Jean-Louis Colinet au Théâtre national, avec les stars internationales autant qu’avec les communautés maghrébine et congolaise. Il a même déménagé une saison son théâtre dans plusieurs quartiers de la ville.
A 44 ans, il dirigera sa dernière saison au KVS avant de rejoindre Marseille pour y diriger le festival en juin prochain.
On le retrouve au "Café du peuple" au parvis Saint-Gilles, un des cafés bruxellois où il aime travailler, lire, discuter. Il habite près de là, avenue Jean Volders, avec sa compagne, la grande chanteuse malienne Rokia Traoré et leur fille de cinq mois.
A l’école de Gérard Mortier
Jan Goossens est né en 1971 à Duffel, entre Bruxelles et Anvers. Mais sa mère, originaire d’Huizingen, lui donna dès l’enfance le goût de Bruxelles et sa culture. "Sa maison était déjà le KVS." Elle rencontra le père de Jan, l’ancien journaliste Paul Goossens, à Louvain. Il était un des leaders de la contestation de 68 à la KUL. "Ils se sont installés à Anvers car ils croyaient que la lutte des classes, c’était plutôt là, mais ma mère ne s’est jamais sentie anversoise et très vite, elle venait à Bruxelles avec moi et m’a communiqué un rapport sentimental à cette ville."
C’est durant ses études de philo et littérature à Louvain que Jan Goossens découvre la Monnaie de Gérard Mortier, où il fait un stage de communication et dramaturgie de deux ans en parallèle avec ses études. "Je passais plus de temps à Bruxelles qu’à Anvers ou Louvain." C’est là qu’il rencontra Peter Sellars avec qui il noua une longue amitié et avec qui il travailla de 1995 à 1998. Il y rencontra aussi le chorégraphe Wim Vandekeybus dont il devint l’assistant. "C’était une période formidable, très rock and roll, internationale par tous les artistes passant par Bruxelles."
Fin 1998, "j’ai pris un peu de distance avec l’opéra et voulu construire un projet à plus long terme à Bruxelles". Il le trouvera en succédant à Franz Marijnissen comme directeur artistique du KVS en 2001, à moins de 30 ans ! "J’avais appris que le KVS allait être rénové et que le théâtre, en attendant, déménagerait à Molenbeek au Bottelarij. J’aimais être au milieu de ce qui allait changer." On connaît la suite.

(Au Wiels, Jan Goossens se plonge dans un art plus pointu)
"Les tensions me nourrissent"
Bruxelles ? "C’est évidemment une ville de tensions et de problèmes mais aussi de défis et de possibilités où plein de choses peuvent se construire. Les lieux où tout fonctionne bien tout seul ne m’intéressent pas. C’est pourquoi j’ai choisi de partir à Marseille, une ville qui ressemble fort à Bruxelles sur ce point. J’ai une fascination pour des endroits où rien n’est abouti, c’est ce que je trouve, à une autre échelle, à Kinshasa ou Bilbao. Il y a tant de villes ennuyeuses. Bruxelles ne m’ennuie jamais. On y trouve sans cesse de nouveaux restos et bars."
Il a longtemps habité au centre-ville, boulevard d’Ypres ("endroit super mélangé"), puis déménagea au nouveau Marché aux grains près de la rue Dansaert. Ensuite il habita dix ans rue des Minimes "au cœur des tensions entre Marolles et Sablon". Avant de redéménager à Saint-Gilles.
Irait-il dans n’importe quelle commune ? "J’aime que Bruxelles ne soit pas homogène, on peut y bouger d’une ville à l’autre, en y retrouvant une forte énergie. J’adore ce sentiment d’être chez moi, dans la capitale de mon pays et d’être à la fois à l’étranger. Je ne le dis pas de manière romantique, je connais les problèmes que ces mixités génèrent. Je sais que sans passé commun, vivre ensemble est compliqué. Mais j’ai besoin de ces tensions qui nourrissent mon travail."

(Jan Goossens a transformé de fond en comble le KVS, l'ouvrant à toutes les communautés)
Ses bars et restos
"Bruxelles, avec tout ce qu’il y a à y construire, est un laboratoire pour l’Europe et le monde nouveau de la diversité. Si ça ne marche pas à Bruxelles, ce serait un mauvais signe pour toute l’Europe."
Et il est inquiet, ce qui a contribué à sa décision de partir. "Le paysage politique et institutionnel à Bruxelles reste difficile. Alors qu’il y a tant de défis culturels, la ville, sur ce point, reste gérée de l’extérieur par les Communautés. Beaucoup d’artistes essaient de changer les choses mais se heurtent à un plafond de verre : les Communautés ne font pas de la culture à Bruxelles leur priorité et la Région bruxelloise n’a ni compétence ni vision en la matière. Le plus préoccupant est que très peu d’hommes politiques trouvent que c’est un problème. Avec d’autres, j’ai essayé que cela change, mais si la politique culturelle à Bruxelles n’évolue pas, ce qu’on a fait ne durera pas."
Il rédige de nombreuses opinions pour les journaux, souvent écrites dans ces bars qu’il affectionne. A Saint-Gilles, il aime la Maison du peuple sur le parvis, et tous ces lieux créés par des jeunes, comme le Dillems "où on peut prendre un petit déj comme rejoindre une fête à 3 h du matin". Il y a aussi "La Pompe", "une ancienne pompe à essence chaussée de Waterloo", et le "Pin pon", place du Jeu de Balle. "J’y retrouve souvent des amis comme Fabrizio Cassol. Ou je retrouve Arno dans des bars du centre-ville."
Question restos, il hésite à donner son "coup de cœur" de peur qu’on y vienne trop nombreux : "Le Nuovo Rosso" chez Mario. "Rokia Traoré adore, Chris Defoort est un habitué." Il aime aussi le restaurant éthiopien "Toukoul" de la rue de Laeken et deux restos branchés et excellents autour du KVS : le "Bar Bik" et le "Beaucoup Fish".

(Le restaurant Beaucoup Fish et le KVS)
Fracture sociale et métissage
On parle parfois de Bruxelles "sale" et "dangereuse", ou d’"invasion" flamande, puis marocaine, puis française ? "Je n’aime pas les craintes, elles ne m’influencent pas. D’autres ont connu des mauvaises expériences mais moi, en plus de vingt ans, circulant beaucoup la nuit, je n’ai jamais eu de problèmes. C’est pas Kinshasa ! Les villes changent, le monde bouge, Bruxelles est un labo où on essaie de construire une société commune. Je ne crains rien mais j’ai parfois la rage quand je vois la fracture sociale croître sans cesse à Bruxelles, et qu’un tiers des habitants sont au seuil de pauvreté alors que c’est une des régions les plus riches d’Europe."
Jan Goossens aime se promener au parc Duden à Forest en commençant par le "Bar du matin". Il aime aussi "ce mélange de lieux pointus (Wiels, Monnaie, Rosas) et plus mélangés (Bozar, KVS)".
"Bruxelles est une ville de métissage. Qu’on le veuille ou non, le monde va vers cela. On voit partout en Europe des replis sur soi qu’il ne faut pas simplement condamner mais comprendre en travaillant de manière constructive à une Bruxelles métissée."
En juin, il sera à temps plein à Marseille. Il a loué un appartement plage des Catalans. Il y programmera un festival de danse et arts multiples où l’on pourrait retrouver ces artistes qu’il aime tels Brett Bailey, Lemi Ponifasio, Peter Sellars, ATDK, Jan Lauwers, Alain Platel. Une belle concurrence à Avignon.

(Le parc Duden, belle jonction entre le haut et le bas de Forest)
Bio express
1971 Naissance à Duffel
1993 Après des études à la KUL, installation à Bruxelles, stage à la Monnaie, travaille avec Peter Sellars et Wim Vandekeybus.
2000 Nommé directeur artistique du KVS à 29 ans.
2016 Dirigera son premier festival de Marseille.