Egypte: il faut sauver le Palais Empain au Caire (photos et vidéo)
Les projets de rénovation du Palais Empain au Caire se succèden... La Fondation Boghossian y a renoncé pour le moment. Le ministère égyptien des Antiquités relance un appel d’offres pour une étude de faisabilité.
Publié le 20-08-2015 à 16h52 - Mis à jour le 21-08-2015 à 10h43
Planté au milieu de la riche banlieue d’Héliopolis au Caire, le Palais Empain est-il maudit ? En dépit d’innombrables projets de rénovation depuis plus d’un demi-siècle, il continue de se dégrader. Ses fresques ont disparu, ses décors préfabriqués se détachent, son plancher en lattis se désagrège. Une statue gît sur le sol, au pied de l’escalier tournant, sans tête, ni membres.
Et pourtant, ce palais hindou construit par le baron Edouard Empain à partir de 1907 est considéré comme l’un des plus grands symboles des liens qui unissent la Belgique à l’Egypte, " le symbole d’une aventure urbaine " écrivait en 2010 Diane Hennebert, en référence à la cité modèle, la Cité du Soleil, créée par l’industriel belge au nord du Caire.

Qui sauvera le Palais Empain ?
Edouard Empain était un extraordinaire entrepreneur, parti de rien, artisan notamment du métro de Paris - et son palais cairote semble illustrer le déclin si rapide de l’empire qu’il avait bâti. Empain aimait Héliopolis. Il y est enterré, dans la basilique sans cloches qu’il y a fait construire.
A Bruxelles, la Villa Empain, avenue Franklin Roosevelt, a été sauvée par la Fondation Boghossian. Mais au Caire ?
"La Libre" a appris que le ministère égyptien des Antiquités, propriétaire de l’édifice, vient de lancer un appel d’offres pour réaliser une étude préparatoire aux travaux de rénovation. Le Caire affirme ne pas avoir les moyens financiers pour payer la rénovation et opterait, pour le financer, pour des donations.
Le gouvernement d’al-Sissi tournerait ainsi le dos à une proposition faite par la Fondation Boghossian de restaurer le palais à ses frais en échange d’un contrat de gestion des lieux. La Fondation caressait le projet d’en faire un lieu de rencontres entre l’Occident et l’Orient, à l’image de ce qu’elle a réalisé avec brio à Bruxelles.
La Belgique, aidée par la société Besix et la Commission des Monuments et Sites, a déjà réalisé une étude de faisabilité en 2009. Il fait une cinquantaine de pages. Des relevés topographiques, des tests de stress et des plans des moulures manquantes ont été réalisés.
"Le côté belge n’a pas communiqué au côté égyptien les résultats et productions de ses travaux et ce malgré plusieurs demandes du côté égyptien ", affirme la Commission permanente du patrimoine islamique et copte du Caire.
La chose est plus compliquée. A l’époque, l’interlocutrice de la Belgique était Madame Moubarak, l’épouse de l’ex-président. Et quand il a fallu signer une convention avec le gouvernement belge, ce dernier était en affaires courantes; aucun ministre ne voulait prendre la responsabilité de s’engager sur ce dossier. Le rapport de faisabilité est toujours disponible aux Affaires étrangères.

"Nous estimions à l’époque qu’il fallait deux millions d’euros pour rénover le palais , explique Diane Hennebert, membre du conseil d’administration de la Fondation Boghossian. Le projet est tombé avec les Moubarak. Plusieurs contacts ont eu lieu avec les gouvernements suivants, mais sans suite. Ce projet est maintenant au surgélateur. L’argent qui avait été bloqué est passé dans d’autres projets."
La Belgique ne désespère cependant pas de participer au projet. " J’espère que ce palais pourra être rénové et devenir un centre culturel arabo-européen", a déclaré début août le vice-Premier Kris Peeters, lors d’une visite officielle en Egypte pour l’extension du canal de Suez. " Alors qu’aujourd’hui des sociétés belges comme Besix, Sibelco, Deme ou De Nul font impression en Egypte, c’était aussi absolument le cas avec le baron Empain. La coopération culturelle va de pair avec la coopération économique."
Visite avec le ministre
Début août, les portes du site ont été ouvertes exceptionnellement pour le ministre belge. Celui-ci a pu déambuler dans ce palais construit par Alexandre Marcel. L’architecte français s’était inspiré du pavillon du Cambodge qu’il avait imaginé pour l’exposition universelle de Paris en 1900.
Selon les expertises belges, le palais reste stable malgré les années. La pluie s’est certes infiltrée par le toit, mais il ne pleut pas au Caire comme à Bruxelles. Les dégâts sont surtout dus à la corrosion des fers d’armature placés dans le béton armé et dans les pièces préfabriquées.
Des graffitis ont été inscrits aux murs, mêlant cœurs et croix gammées. Il court les rumeurs les plus folles au sujet du palais. Certains affirment que des soirées sataniques et orgiaques s’y sont déroulées. D’autres, que le palais tournait sur un axe central, certaines nuits. L’ancien jardinier a aussi déclaré que "El Baron", c’était le surnom du baron belge, avait fait pendre l’architecte à une poutrelle puis fait enterrer son corps dans l’immense jardin.
Tout cela est faux, bien sûr, mais cela a contribué à entretenir une réputation sulfureuse à l’édifice. "Quand j’étais jeune , raconte un ancien habitant d’Héliopolis, nous avons passé le muret et exploré le palais. A la torche. Ce n’était que poussière et toiles d’araignées."

Un peu d’histoire
Le palais ne fût occupé par le baron Empain que jusqu’en 1920. Sa déchéance débute avec la mort de l’industriel en 1929. Il fut réquisitionné par l’armée égyptienne en 1956 lors de la crise du canal de Suez, vendu par le fils Jean Empain en 1957 à la famille saoudienne Alireza pour 160 000 livres égyptiennes de l’époque. Celle-ci proposa d’en faire un centre thermal, voire un casino, projets qui furent abandonnés. Le palais fut finalement classé en 1993.
L’Etat égyptien s’en porta acquéreur en 2005, quelques jours avant le centième anniversaire de la fondation d’Héliopolis, contre une parcelle de terrain de 48 ha dans le Nouveau Caire.
Aujourd’hui, des gardes protègent l’entrée - et le rêve d’Empain s’effrite lentement.